Nous nous établîmes sur le bord, dans la partie septentrionale
, pour prendre une vue du pays d’Angote et
de la vallée Raya. Un de nos domestiques demanda de
l’eau à plusieurs habitants, qui étaient venus nous regarder,
et ils se hâtèrent de nous apporter de la bière,
du pain et du lait; en retour de quoi nous fûmes forcés
d’insister pour leur faire accepter un léger présen
t; puis ils se retirèrent respectueusement à une
distance qui leur permettait de satisfaire leur curiosité,
sans cependant nous gêner.
Après avoir dessiné les pays situés au nord et à l’est,
relevé la ville de Oualdia, les pitons de Tsera Guedel,
et la pointe de la chaîne qui limite à l’est la vallée
Rayai, nous vînmes nous placer sur le bord opposé,
au sud, d’où nous voyions se développer à perte de
vue la vallée Yedjou, la grande chaîne de Ouadela, et
les arêtes perpendiculaires qui s’en détachent. Il serait
difficile de trouver un aspect plus grandiose. Nous
en demeurâmes émerveillés, et cependant quatre ans
de séjour en Abyssinie commençaient à nous blaser
sur les spectacles de ce genre.
La fin du jour vint nous surprendre dans nos occupations.
Le so le il, en Rabaissant derrière les grandes
montagnes du Ouadela, commença à modifier cette
étonnante perspective : pendant que les plus hautes
crêtes s’allumaient à ses derniers rayons, les rameaux
du côté opposé s’assombrissaient et dessinaient en noir
leurs arêtes dans le vague du crépuscule; on eût dit
la carcasse d’un immense cétacé échouée dans une
mer d’or en fusion. A pareille h eu re, ce n’est plus la
terre que l’on a sous les yeux : l’horizon n’a d’autre
limite que la pensée; la pensée elle-même reste sans
bornes.
Il était tout à fait nuit quand nous rejoignîmes nos
bagages. Nous trouvâmes notre tente dressée dans une
cour, non pas qu’on nous eût refusé l’hospitalité, mais
toutes les maisons du hameau étant fort petites et en
général malpropres, nos domestiques n’avaient pas
voulu y placer nos effets. A défaut d’un gîte commode,
les habitants mirent à notre disposition tout
ce qu’ils possédaient avec une bienveillance digne
de l’âge d’or. C’est encore ici le lieu de signaler un
contraste chez ee peuple, également d isp o sé , suivant
l’occasion, soit à piller un voyageur, soit à partager
avec lui son pain et sa maison. Ces mêmes gens,
qui volontiers nous auraient donné des terres et des
boeufs pour nous établir chez e u x , n’étaient pas
moins prêts à nous tuer, s’ils nous eussent rencontrés
sur la route en force suffisante.
Le lendemain matin nous fûmes encore harcelés par
une foule de malades : il n’y eut pas moyen de partir
sans leur donner des médicaments, et le docteur distribua
force pilules de mie de pain, qui nous valurent
mille bénédictions.
Nous traversâmes le district de Djène, pays ondulé
où l’on trouve peu de terres en fr ich e , et celles - ci
sont couvertes de mimoses, de coloquintes et de ba-
guenaudiers. En tournant au sud - quart - sud - e st,
nous passâmes une rivière qu’on nous dit s’appeler
Guerado à cet endroit, Gabia Ouaha à sa source, et