Le lundi, notre guide galla et notre hôte tinrent nous
chercher à la pointe du jour, et nous partîmes avec six
de nos gens, armés de fusils. Nous descendîmes de
notre roc de Sessate, et suivîmes pendant deux heures
la belle vallée d’Atsala dont la fertilité efface en peu
de temps la trace des désastres de la guerre. Arrivée
à son point le plus élevé, cette vallée se termine brusquement
par un précipice, au-dessous duquel, à 700
mètres plus bas, on aperçoit la plaine Azébo Galla. Lorsque
nous parvînmes à cet endroit, il était huit heures du
matin; comme la brise n’était pas encore levée, les Vapeurs
condensées au-dessus de la plaine pendant la
nuit continuaient de s’agglomérer en une masse compacte,
figurant à nos yeux une immense nappe de
neige, qui se serait étendue entre les deux chaînes limitrophes
du pays Azébo Galla, et ne nous laissait
apercevoir de la plaine, à travers sa mate blancheur,
que les pointes sombres de quelques hauts pics.
Après avoir un instant admiré cette scène, nous commençâmes
à descendre comme dans un gouffre vers
ces nuages que nous avions sous nos pieds. Mais la
brise s’éleva tout à coup, et à mesure que nous avancions,
toutes ces vapeurs n’étaient plus qu’un léger
brouillard, qui jetait son humidité sur les herbes.
De temps à autre, les contours du précipice nous démasquaient
les champs cultivés d’un vallon formé
par quelques mamelons, au bas de la montagne d’Arara.
Quand nous fûmes arrivés, nous, étions à deux pas du
village de Kotié, et il nous restait peu de chemin à
faire pour entrer dans la plaine galla.
Mais nous allions quitter le pays chrétien ; c’est ici
qu’un surcroît de précautions devenait nécessaire, du
moins jusqu’à ce que rfous fussions parvenus à Edda
Moheny. Nous nous assurâmes encore que nos armes
étaient en bon état, et marchâmes désormais plus
rapprochés les uns des autres. Bientôt nous vîmes
venir une troupe à cheval : c’était une escorte envoyée
au-devant de nous par Abba Tôlé, père adoptif de
M. Petit. Nos protecteurs n’avaient pas des mines trop
rassurantes, et nous nous sentîmes très-mal à l’aise,
lorsque, saisissant quelques lambeaux de leur conversation,
nous les entendîmes se dire que c’était
dommage de nous laisser sains et saufs, et que chacun
de nous, en raison de notre teint blanc, ferait un gue-
daye qui pourrait bien compter pour quarante ordinaires.
Cependant, comme nous étions de force à
repousser toute agression de leur part, nous ne souf-
flâmesmot, etarrivâmes tranquillement à Edda Moheny.
Cette ville compte environ deux mille âmes. Les
maisons sont à toit conique, recouvert en chaume; les
murailles sont faites de branches de bois verticales,
entrelacées de lianes. Elles sont entourées à distance
d’une haie de kolkoals, qui forme une enceinte extérieure
assez spacieuse, où l’on renferme les troupeaux
pendant la nuit. Les champs sont divisés par des haies
semblables, ce qui garantit fort bien le pays contre les
attaques de la cavalerie, et permettrait à des piétons de
s’embusquer avec avantage, si l’usage des armes à feu
était plus répandu. Lorsque nous arrivâmes chez Abba
Tôlé, ce chef vint nous recevoir à la porte de sa maison,