que de lui abandonner sa monture. A portée de fusil du
bois, nous nous arrêtâmes pour envoyer deux hommes
examiner les bords d'une mare où les lions ont coutume
de se désaltérer le matin après les carnages de la
nuit ; ils revinrent nous annoncer qu’ils avaient trouvé
le squelette d’une antilope, récemment dévorée : on
pouvait encore voir distinctement les empreintes des
pas du lion dirigées vers un autre bois situé à notre
droite. « Si nous parvenons à découvrir le gîte de celui-
là , nous dirent nos éclaireurs, la chasse sera facile : le
lion doit être alourdi de son repas d’hier soir. » En nous
dirigeant du côté qu’ils nous indiquaient, nous reconnûmes
qu’ils ne s’étaient pas trompés; des traces toutes
fraîches annonçaient le passage du lion : d’ailleurs nos
chevaux furent soudainement saisis , d’une vive aogi—
tation; 1 oreille sans cesse tendue en avant, les naseaux
gonflés et bruyants, quelque chose de fébrile et
d’incertain dans leur marche, tout en eux décelait
1 approche de l’ennemi ; et encore fallait-il pour avancer
qu ils fussent habitués à cette odeur de bête fauve. Nos
piétons commencèrent à marcher serrés, en rapprochant
leurs boucliers de manière à former une espèce
de tortue, dessous laquelle ils étaient entièrement abrités;
de la main droite ils tenaient leur javelot, prêts
à le lancer. Les cavaliers firent halte aux aboiements
des chiens, qui replièrent vers nous, la queue basse et
d un air qui demandait protection. Tout le monde fit
silence. « Le lion doit être bien près d’ic i, me dit
alors notre guide, et il est étonnant, après les aboiements
de nos chiens, qu’il ne se soit pas encore
montré ; sans doute qu’il est engourdi, comme nous
l’avions p r évu , et qu’il n’attaquera pas le premier. »
Quelques minutes se passèrent ainsi dans l’attente.
Enfin nous vîmes lentement s’avancer un lion énorme;
ses yeux étaient à demi fermés, comme s’il eût été
encore assoupi. Arrivé à portée de fusil, il s’arrêta
un moment pour nous considérer; mais nous trouvant
probablement trop nombreux, il poussa un rugissement
sourd, se détourna un p e u , et continua
son chemin avec la même gravité. Celui qui devait
commencer l’attaque s’apprêtait déjà à lancer son
cheval ; il avait tiré son pesant sabre en forme de
faux, et se couvrait de son bouclier : je le prévins par
un coup de fusil. Le lion chancela et fléchit; mais
ce fut l’affaire d’une seconde : il se retourna en nous
jetant un rugissement horrible, qui fit cabrer tous
les chevaux. Je ne sais en vérité rien de plus propre
à inspirer la terreur que cet épouvantable cri. Les animaux
ont un instinct admirable pour deviner d’où vient
l’attaque; en ce moment le lion était à une cinquantaine
de pas de nous, et je vis l’éclair de son regard
fauve se diriger vers moi. Ne doutant pas que je ne
fusse choisi pour victime , je quittai mon fusil devenu
inutile, et saisissant la lance d’un de mes gens, je
m’apprêtai à combattre à l’abyssine; mais le cavalier
galla me prévint à son tour, et précipita son cheval à
la rencontre du lion : avant que celui-ci eût le temps
de bondir, il était près de lui. Par un mouvement simultané
, le cheval se cabra, et le lio n , se levant sur
ses pattes de derrière, lui posa celles de devant sur