démarche. Nous demeurâmes toute la journée avec
quelque espoir de bon succès. Ato Ouorké arriva le
soir chez Ato Nagaro, et nous dit qu’après avoir signifié
à ses parents l’ordre de son maître, ceux-ci
avaient répondu qu’ils viendraient au camp de Balgada
Aréa remettre les objets à lui-même, et qu’ils ne voulaient
les donner à aucun autre.
Cette réponse trahissait l’intention de traîner notre
affaire en longueur, et j’ouvris l’avis de faire route
à pied ; mais M. Vignaud avait eu une jambe cassée
antérieurement à son arrivée en Abyssinie, ce qui le
rendait très-mauvais marcheur, surtout en pays de
montagnes. Nous ne pouvions accepter la mule et les
deux fusils qu’Ato Nagaro nous offrait, incertains
comme nous l’étions d’échapper aux périls du voyage,
et de pouvoir lui restituer cet emprunt. Nous eûmes
alors recours au moyen souvent employé par les
Abyssins : nous fîmes excommunier nos ennemis.
C’est un procédé qui réussit quelquefois; mais ici
nous avions affaire à des gens peu soucieux des
foudres de l’Église : ils se moquèrent des excommunications.
Dès qu’ils en eurent connaissance, ils
dirent qu’on pouvait bien laisser les prêtres se reposer
pendant un an, sans qu’ils s’en inquiétassent
le moins du monde. Le hasard vint cependant nous
servir, et donner gain de cause au clergé. Un jour Ato
Guebrioud et Ato Enguéda, encouragés par le succès
qu’ils avaient eu avec nous, vinrent piller des vaches
au pays d’E lkè le, aux portes de Tchéleukot. D’abord
les habitants les prièrent de se contenter d’en prendre
d eu x , qui suffiraient pour approvisionner leurs soldats.
On transigea sur cette proposition ; mais lorsqu’il
fallut choisir les deux plus belles vaches, les paysans
voulurent élever quelques difficultés; de la discussion
on en vint aux menaces, et des menaces aux coups.
Ato Guebrioud fut le premier à lever le sabre sur un
paysan. Celui-ci ayant paré deux fois sans riposter,
crut avoir le droit de se défendre au troisième c ou p ,
et tirant alors son choutel, il s’en servit assez adroitement
pour détacher l’épaule du seigneur. Aussitôt que
les soldats virent tomber leur maître, et les paysans accourir
de tous côtés, ils se sauvèrent en poussant un
long cri d’alarme q u i, de proche en proche, retentit
jusqu’à Tchéleukot, où l’on apprit bientôt l’accident.
Une foule de g en s, amis et parents du seigneur blessé,
accoururent pour le ramasser et le ramener chez son
père. Toute la ville fut en émoi ; mes domestiques rje
furent pas des derniers à se mêler à la fou le , car intérieurement
ils se réjouissaient du mal arrivé à leur
voleur, et ils étaient au nombre de ceux qui attribuaient
la mésaventure de Guebrioud à l’excommunication
lancée contre lui.
Chose singulière cependant ! tous les seigneurs, dont
pas un n’avait manqué de blâmer la conduite d’Ato
Guebrioud, devinrent furieux contre les paysans, et
eussent été prêts à soutenir l’agresseur contre les
opprimés, si la lutte se fût prolongée. Ato Nagaro
lui-même ne put s’empêcher de dire qu’il ne laisserait
pas périr ainsi un enfant de Tchéleukot sans
demander le prix de son sang. Ce ne fut que lorsque