s’arrête pas là : de la voix muette et puissante, de
l’imagination il évoque le dieu du temple, et converse
avec lui sur les temps disparus.
Vous tous que l’entraînement du destin a forcés de
quitter pour longtemps la ville natale ou chère, au
détour du chemin ne vous ê te s -v o u s pas arrêtés, le
coeur gonflé, pour jeter à l’humble cité un dernier
regard et un dernier adieu ? et ces toits fumants,
délabrés, discordants, ne vous o n t - ils pas alors
retracé dans le langage éblouissant des souvenirs tout
votre passé de douleur et de jo ie , de larmes et de
sérénité?
Pourquoi en serait-il autrement du voyageur placé
entre l’image radieuse de la patrie qui lui tend les bras
et le souvenir m élancolique de la terre où il a souffert,
où il a appris? Connaît-on jamais mieux les qualités
d’un am i, d’un ennemi même, que lorsqu’on s’en sé pare,
et la distance morale ne fa it-e lle pas entrevoir
les choses dans leur harmonie, qui est leur seule
vérité?
Telles étaient les pensées qui m’assiégeaient pendant
la route d’Adoua à Messoah, ma dernière étape en
Abyssinie. De cruels malheurs m’y avaient éprouvé
(hélas ! ils n’étaient pas finis); mais , dans ce moment
où j’allais la quitter peut-être pour jamais, j’embrassai
d’une suprême pensée cette existence de cinq années
consacrées à des recherches sans relâche ; je m’efforçai
de dégager l’inconnu que tout homme veut trouver dans
une longue somme de pénibles travaux, et ma chétive
personnalité s’effaçant devant l’imposant spectacle des
siècles, fit trêve un instant au murmure douloureux de
ses récentes blessures.
Mes impressions se résumaient dans une analogie
frappante : d’une part un vaste empire, disjoint, détraqué
; de l’autre un sol bouleversé par une secousse
intérieure : deux révolutions identiques, détruisant
tout à coup l’oeuvre patiente du temps, et substituant,
à une régulière organisation, des débris ressoudés par
cette force vitale qui anime tout dans la nature, mais
avec le désordre et l’incohérence qui distinguent les
dislocations. C’est ce que j’ai essayé de signaler dans
la description du sol d’Abyssinie ; c’est ce que je ne
me suis pas moins appliqué à faire ressortir dans la
peinture de la société abyssine.
Mais l’analyse de ce double fait, si minutieuse qu’elle
soit, est tout au plus propre à faire naître des rapprochements
curieux et des rapports exacts dans l’ordre physique
et dans l’ordre moral. Or si le sentiment inné d’une
Providence a conduit les hommes, dans l’origine, à lui
attribuer une action directe dans tous les événements
qui dépassaient l’ordre commun; plus tard l’expérience
leur apprit qu’entre cette main divine et les effets perceptibles,
il y avait un intermédiaire qu’ils nommèrent
causes ou lo is; et depuis lo r s, sans s’attacher à pénétrer
dans les mystères accablants pour leur faiblesse,
les plus sains d’esprit ont cherché, par l’analogie des
effets , à déduire la généralité des causes, espèce de
raréfaction intellectuelle qui * simule une pyramide ,
ayant l’homme à sa base et Dieu au sommet..
C’est donc d’une semblable préoccupation que je fus