C’était le même récit que nous avait fait le voyageur,
sauf quelques légères variantes qui tenaient au point de
vue particulier où chacun des deux narrateurs avait été
placé pour juger les choses. M. Évain, d’abord bien
accueilli, n’ayant pas compris qu’on l’engageait à rester
pour attendre les ordres du roi, avait voulu s’évader
: on l’avait effectivement enchaîné auprès d’une
v a ch e, d’où était venu son grand effroi.
Étant descendus des hauteurs de Sembelète, nous
longeâmes pendant quelque temps une chaîne qui fait
suite aux pics d’Éphesson, dans une vallée bordée à
droite par un escarpement qu’on nomme Guedara.
Nous dépassâmes le village de Doulloute, situé dans
un bassin étroit arrosé de la rivière Nazaro Ouanze, les
villes de Saramba, Reguebo, OuofaGabrié , et vînmes
nous arrêter, à quatre heures du soir, au village musulman
Ouomberia, où nous fûmes traités avec bienveillance.
L’étoffe dont les femmes de ce pays se
couvrent la tête est rouge, au lieu d’être blèue, comme
c’est l’usage depuis l’Achangui jusqu’ici. Elles ont aussi
beaucoup plus de bijoux; presque toutes ont des brace
le ts, des colliers et des boucles d’oreilles en argent;
elles mettent des verroteries rouges à leur ceinture.
Leur vêtement se compose, comme celui de toutes les
femmes du Choa, de deux robes ; celle de dessous descend
jusqu’à la cheville, et l’autre jusqu’au genou seulement;
elles jettent par là-dessus le drap qui forme la
partie essentielle du costume abyssin; seulement sa
bordure est ici en laine et non en coton.
A partir de Ouomberia, nous fîmes route au su dquart
sud-ouest : en face de nous était le pic de Che-
refa, couronné par une ville que nous avions marquée
pour notre station suivante.
Après une demi-heure de marche, nous nous trouvâmes
par le travers d’un groupe de mamelons en
forme de redoutes, qui sont disposés en fer à cheval
et laissent une prairie au centre. Le premier, sur notre
droite, se nomme Guember Maoutcha, le second Dir
Amba. Le cercle est fermé par la grande chaîne dont
la partie que nous avons en vue prend le nom de
Ferasse Laye. A côté et en avant est le plateau de Mot-
çha, puis Goutoné. Nous apercevons aussi sur le talus
de la chaîne la ville de Kouafara, qui nous reste
au sud 75° ouest. Nous marchons encore une demi-
heure avant d’être au pied du mont de Cherefa, où se
tient un marché très-renommé pour ses bestiaux.
Quand nous eûmes fait décharger nos bagages au
sommet de la montagne, le choum de Cherefa vint nous
inviter à loger chez lu i, et nous traita avec beaucoup
d’égards. Le gouverneur de Guedme nous envoya un
soldat pour nous complimenter et nous engager à le
venir voir. Nous remarquâmes que ce soldat avait dans
les cheveux une plume de héron, qui retombait en
forme d’aigrette sur l’arrière de la tête; nous n’avions
jamais vu cette parure. On nous dit que c’était un
signe d’honneur que les guerriers qui s’étaient signalés
par la mort d’un ennemi avaient seuls le droit
de porter.
Le lendemain, lorsque nous nous mîmes en route, à
sept heures du matin, il faisait une brume très-épaisse,