A la première nouvelle qu’il en e u t , nous avons vu
que Balgada Aréa, sans attendre ses auxiliaires, était
parti de Tchéleukot. De là il était entré dans le Sloa,
et 1 avait livré au pillage : mais Ato Rema, dont il aurait
voulu faire un exemple, parvint à lui échapper et
à rejoindre Oubié.
Le 29 novembre, les deux armées étaient campées
à quatre lieues l’une de l’autre ; celle d’Oubié double
en nombre des Tigréens, possédait surtout beaucoup
plus de cavalerie ; mais ses soldats, exténués par les
maladies et les longues privations, n’étaient d’ailleurs
que fort mal armés. Il n’est pas à douter qu’Aréa,
attaquant cette armée avec vigueur, ne fût parvenu
à lui faire éprouver un éche c, qui, dès le début de
la campagne, aurait suffi pour la démoraliser complètement.
Mais le chef tigréen n’ignorait pas que
la plupart de ses officiers avaient été gagnés par les
promesses d’Oubié, et n’attendaient peut-être que le
moment de l’action pour passer à l’ennemi, circonstance
qui aurait infailliblement poussé ses soldats à
se débander dans ce pays où ils avaient tant de refuges
assurés. Les Amaréens, malgré leur faiblesse, étaient
précisément à l’abri de cette cause de désorganisation;
car ils n’avaient, et ils le savaient bien, qua
vaincre ou à mourir.
Ces considérations valaient sans doute la peine
d’être pesées. Aréa paraît enfin se décider : il assemble
son conseil, ouvrant le premier l’avis de marcher à
l’ennemi, sans attendre qu’il se soit refait dans le
beau pays du Sloa. Ato Agaze partage cette opinion;
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mais les autres chefs, et surtout Baraki, qui compte
à lui seul plus de vassaux que tout le reste, déclarent
que la lutte serait dangereuse, même fo lle , avant
que les chefs du Tembène et du Tigré n ’eussent rallié.
« Que ferez-vous, ajoute Ato Baraki, que ferez-
vous lorsque la plupart de vos alliés se tourneront
contre vous? Que ferez-vous si vos soldats, effrayés de
leur petit nombre, se dispersent au premier c h o c ,
sûrs qu’ils seront d’être encore protégés par Oubié,
qui n'en veut qu’aux chefs? Quant à mo i, j ’ai fait
serment de ne jamais me trouver en bataille rangée
devant Oubié, et si vous attaquez, il ,me faut vous
quitter. Ce n’est pas que je désire sa perte moins que
vous ; je veux, au contraire, vous proposer une guerre
plus sûre et qui vous délivrera bien mieux de lui que
ne le feraient vingt batailles ; car en l’attaquant corps
à corps, à moins d’un succès d é c is if, nous ne parviendrons
jamais a 1 abattre; sans cesse il recrutera des
soldats au delà du Taccazé, et en fera venir des approvisionnements;
tandis que si nous avons une seule fois
le dessous, nous verrons incontinent toutes nos provinces
se soumettre. Voici donc mon plan. Que chacun
de nos chefs dont la foi est certaine, prenne une
forte position dans les bois et les ravins ; que les habitants,
abandonnant leurs maisons, portent leur grain
dans les couvents, cachent leurs troupeaux dans des
endroits où jamais la cavalerie n’osera s’engager. Si
l’ennemi veut s’avancer dans nos terres, il se trouvera
bien vite affamé; la désertion se mettra dans ses r a n g s ,
et quand viendra l ’époque des pluies, nous en aurons
bon marché. Il a compté sur la trahison; il s’est ima-
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