conque tombait, ii n’y avait pas de salut possible;
celui-là servait de pont à la foule, qui le piétinait sans
s inquiéter le moins du monde de ses cris. Il est heureux
pour sa réputation que le gouvernement du Choa n’ait pas
de journaux qui enregistrent à la fin d’une campagne
le bulletin des morts et des blessés : lorsque l’armée
rentre dans la capitale, on ne s’inquiète que du nombre
d’esclaves et de troupeaux ramenés en triomphe.
Moi-même, au milieu du torrent, je fus forcé de
suivre le courant, et j ’ai bien pu culbuter bon nombre
d Abyssins, mes hôtes : que Dieu me le pardonne ! Je
poussais toujours ma mule en avant, ne la laissant jamais
hésiter dans un mauvais pas, de crainte qu’elle ne
s’abattît. Fort heureusement encore le costume national
que j’avais revêtu, et la nuit, déguisaient suffisamment
ma qualité d’Européen, lorsque, poussé enarrière, jeren-
dais la réciproque à ceux qui me précédaient : c’étaient
alors des cris et des malédictions; niais la nécessité me
rendait aussi insensible qu’un indigène. Ce ne fut qu’à
minuit que nous atteignîmes le camp, ou, pour mieux
dire, l’endroit où le roi, aussi embarrassé que nous de
sa route, avait enfin arrêté sa mule. Chacun s’était alors
établi au hasard; car ici, le choix des places ne pouvait
faire l’objet d’aucune dispute; ce n’étaient que terres la-<
bourées, dont les sillons étaient remplis d’eau. Je ne fus
pas encore le plus mal loti. Mes domestiques, au lieu de
se charger de trophées, avaient démoli quelques chaumières,
et s’étaient munis de bois, de paille et des pro^
visions nécessaires pour souper; et, quoique nous eussions
marché sans nous arrêter depuis dix heures du
matin jusqu’à minuit, ils n’avaient pas bronché devant
cette fatigue. J’eus donc bientôt, au milieu de ce champ
plein d’eau, et malgré la pluie, un véritable brasier, à
côté duquel on dressa ma tente ; puis je fis étendre quelques
brassées de paille, sur laquelle je m’endormis avec
délices.
Le lendemain s’annonça sous de meilleurs auspices
que la veille. L’armée avait passé la nuit dans une position
peu agréable ; la plupart des soldats étaient restés
sans feu au milieu de ces mares d’eau; aussi n’attendirent
ils pas le signal pour se mettre en marche, et
chacun eut bientôt pris le pas de course pour s’échauffer.
Le roi suivit alors une ligne parallèle au cours du
fleuve. Nous traversâmes d’abord des prairies où l’on
ne voyait aucune trace d’habitation; mais, après une
heure de marche, nous atteignîmes des collines basses
et arrondies, qui étaient couvertes de villages. A peine
eurent-ils été signalés, que la cavalerie s’y précipita au
galop, en se dispersant par pelotons, pour mieux couper
la retraite aux fuyards. En peu de temps, des nuages de
fumée s’éleyèrent de toutes parts, et ce fut un nouveau
massacre.
A midi, nous étions en face de la montagne de Zeu-
koâla, dont le sommet est un cratère rempli d’eau,
formant un lac assez large. Cette montagne s’élève au
milieu d’une vaste plaine cultivée, dont le sol est de
constitution volcanique. On voyait de loin la population
s’enfuir en incendiant elle-même ses villages; mais il
était difficile que les femmes et les enfants échappassent
à la cavalerie. A une heure de l’après-midi, le