
tants, aujourd’hui wahabites sincères, étaient autrefois les partisans
dévoués du malheureux Moseylemah.
A mon grand regret, nous passâmes devant le village sans y
entrer ; bientôt après, tournant vers le nord, nous nous engageâmes
dans une gorge profonde du Toweyk, puis nous montâmes
sur un plateau élevé où de maigres pâturages, à peine
suffisants pour donner une teinte verdâtre au sol calcaire,
nourrissent des moutons qui ressemblent à des chèvres, ou, si
l’on aime mieux, des chèvres qui ressemblent à des moutons ;
la tristesse du spectacle qui nous entourait me rappelait les
paysages de l’Écosse, moins les sapins qui font ici. défaut. Nous
fûmes longtemps à traverser cette solitude, enfin, vers le soir,
nous atteignîmes un groupe de puits nommé Lakeyat, où nous
campâmes pendant la nuit.
Le lendemain, collines et vallées, arbres et buissons, tout
était enveloppé d’une couche de vapeurs, qui aurait mieux
convenu au comté de Surrey qu’à l’Arabie. La brume laiteuse
était si épaisse que nous perdions notre chemin et que
nous marchions au hasard, poussant des cris, dirigeant nos
chameaux tantôt d’un côté, tantôt de l’autre au milieu des
buissons et des broussailles; enfin le soleil échauffa l’atmosphère
, le brouillard disparut et nous permit d’apercevoir, à
quelque distance sur notre droite, la route que nous devions
suivre. Nous venions à peine de la rejoindre, que nous vîmes une
masse noire qui s’avançait vers nous. C’était le premier détachement
des troupes de l’Hasa, il se composait d’environ quatre
ou cinq cents hommes et se rendait à Riad. En vrais Arabes, les
soldats montraient un noble mépris de l’ordre et de la discipline;
ils galopaient, s’arrêtaient, chantaient, criaient, se dispersaient
ou se rassemblaient selon leur fantaisie. Ils nous apprirent
que leur général, Mohammed-es-Sedeyri, avait déjà
quitté l'Hasa avec l’artillerie et le principal corps d’armée afin
de se rendre au Nedjed; pour eux, ils l’avouaient sans honte ni
détour, ils auraient beaucoup mieux aimé demeurer tranquillement
dans leur pays que d’aller combattre les partisans de
Zamil ; la contrainte seule, et non leur ardeur guerrière, les
poussait vers Oneyzah. Nous leur souhaitâmes en riant une
moisson de lauriers, ils rirent à leur tour, répondirent par un
hourrah et continuèrent leur route.
Peu après, nous nous arrêtâmes quelques instants pour jouir
de la magnifique vue que nous offrait l’Harik, dont nous étions
séparés seulement par un bras de sable. Les montagnes de cette
province, qui me parurent de formation granitique, — le lecteur
se rappellera que je ne suis, hélas, ni géologue ni botaniste, —
forment à l’est et à l’ouest une chaîne isolée, d’environ soixante
milles de longueur. Entouré par le désert, l’Rarik a nécessairement
une température torride, son nom, qui signifie « embrasé »
en porte témoignage, et le teint bronzé des habitants prouve
que cette dénomination n’a rien d’excessif. Nous étions trop
éloignés pour apercevoir distinctement les villes et les châteaux,
mais un de nos compagnons, qui paraissait connaître parfaitement
le pays, nous indiqua la position de la ville d’Houtah,
capitale du district. Je considérais aussi avec surprise combien le
Djebel-Toweyk se termine brusquement à l’entrée.du Dahna; il
s’abaisse en formant une rapide série de gradins escarpés, dont
le dernier plonge perpendiculairement dans l’océan de sable.
La chaîne est calcaire en grande partie, cependant on y trouve
en quelques endroits du minerai dé fer et de cuivre. Abou-
Ëysa me montrant du doigt une montagne qui, d’après son
apparence, devait renfermer ce dernier métal, me fit observer
que les Européens ne manqueraient pas de l’exploiter, s’ils
pénétraient en Arabie.
Le pays que nous traversions offrait une scène pittoresque;
des collines et des vallons, de jolis bois de sidr, des bouquets de
markli, récréaient agréablement notre vue; nous arrivâmes ensuite
au pied d’une haute falaise blanchâtre fort semblable à
celle de Douvres; mais les rochers, au lieu d’être baignés p a rla
mer, surmontent une large vallée remplie d’arbres, dont le sol
creusé de l’est à l’ouest, porte les traces de plusieurs torrents
impétueux qui l’ont sillonné pendant l’hiver; leur lit était
maintenant à sec. Nous fîmes halte en ce lieu et nous y passâmes
la nuit, <t fatigués par le souffle importun de l’âpre novembre,
» à peine moins rigoureux ici que sur les rives de
l’Ayr, bien que nous fussions sous le 25” de latitude et non sous
le 56°.
Avant que la lumière des étoiles s’évanouît dans le ciel froid
du matin, nous étions debout et en marche, car un long chemin
nous restait à parcourir. Après avoir un peu parlementé,