
les bosquets, quoique d’une grande étendue, donnent de chétives
récoltes; le coton est ici l’objet d’une culture particulière, et les
champs de millet blanc remplacent ceux de lentille, si communs
aux environs de Riad. Le costume des hommes et des femmes est
le même que celui de l’Ared ; la tunique toutefois a moins de longueur,
et le lourd couteau appelé berim, pend plus souvent à la
ceinture.
De Meshallah à Kharfah nous dûmes suivre une gorge profonde
qui portait encore les traces des torrents d’hiver; sur ses bords
s’étendent d’excellents pâturages où paissent de nombreux troupeaux,
non loin de là quelques palmiers abritent les huttes des
pasteurs. Le district renferme très-peu d’habitants, surtout si on
le compare à l’Yémamah ou au Sedeyr. La nuit était venue quand
nous atteignîmes Kharfah ; en conséquence, nous campâmes en
dehors des murs sous un bouquet de dattiers. Le gouverneur de
la province, qui réside dans la ville, est un habitant de l’Ared,
fort connu pour l’exaltation de ses sentiments religieux. Bedaa
ne crut pas utile de lui faire visite et nous partageâmes complètement
son opinion. Kharfah renferme environ hyit mille habitants,
dont la moitié à peu près se compose de khodeyryah qui,
selon la'coutume des nègres leurs ancêtres, remplacent la longue
tunique arabe par un morceau d’étoffe fixé à la ceinture. L’hospitalité
était mesquine, je remarquai une absence de sociabilité
et une rudesse de manières qui me firent songer à la Wadi Dowasir,
dont les limites ne se trouvent pas en réalité à plus de
quinze ou vingt milles. Nous restâmes à Kharfah une partie de
l’après-midi, puis nous reprîmes la route que nous avions suivie
en venant.
Dans Safra, Meshallah et Kharfah, la conversation roula naturellement
sur la guerre d’Oneyzah, un tiers de la population en
état de porter les armes étant déjà partie pour le Kasim. Cependant
nous abordâmes aussi une autre question plus intéressante
à mes yeux, à savoir le pays lui-même et son commerce avec
l’Afladj et l’Yémen. Je recueillis les renseignements qui vont
suivre, dont l’exactitude me paraît incontestable pour l’ensemble,
bien que je ne prétende pas à la précision rigoureuse
des détails.
Le voyageur qui se rend dans l’Yémen parvient après une
journée de marche modérée à la Wadi Dowasir, monotone et sablonneuse
vallée bornée au nord par le Toweyk, au sud par le
Dahna ; sa longueur totale doit être d’environ deux cents milles,
car il faut dix jours entiers pour la parcourir. Des villages, composés
de misérables huttes faites en feuilles de palmier, sont disséminés
sur la route, enfin, l’eau est partout facile à trouver. Je
suppose que ce district est une sorte de Wadi Sheran méridionale.
En quittant la Wadi Dowasir, l’explorateur entre dans le Kora,
pays presque désert qui est situé près duTaïf et du Djebel Asir. Il
a pour capitale Kelaat-Bisha, ville importante placée à deux journées
de marche du Dowasir. A soixante milles plus loin, commence
la Wadi Seleyel, qui, suivant notre ami Bedaa, est un
district très-pauvre, rempli de collines sablonneuses et presque
dépourvu d’eau. Près de là s’étend la Wadi Nedjran, pays dont
la fertilité rappelle les riches campagnes de l’Yémen; elle est
bien cultivée, produit d’excellentes dattes, des céréales en abondance,
renferme une population nombreuse et polie ; en un mot,
cette région offre partout un spectacle de paix et d’abondance.
Les habitants sont shiites pour la plupart, aussi les Waha-
bites les flétrissent-ils du nom de Keffa ou infidèles. Bedaa, une
fois hors du ferritoire orthodoxe, ne me fit pas mystère de sa
religion. Gomme l’Hasa et l’Oman, la Wadi Nedjran se rattache
à la grande école carmathe, proche parente des sectes persanes
et qui se divise en biadites, ismaéliens, druses, etc. Aucune
autre colonie carmathe, à ma connaissance, n’existe dans l’Arabie
occidentale ; la Wadi Nedjran seule y perpétue le souvenir du
grand mouvement religieux qui éclata vers le troisième siècle
de l’islamisme. Les marchands de l’Yémen, pour sè rendre dans
l’Ared, passent ordinairement par la Wadi Dowasir et la Wadi
Seleyel, afin d’éviter les difficiles chemins des montagnes, et de
ne pas s’exposer à l’intolérance des peuplades du Djebel-
Asir.
Quant à la route bien connue qui traverse la Wadi Hanifah,
le nord de l’Afladj, puis se dirige vers La Mecque en longeant le
Toweyk méridional, je puis affirmer qu’elle suit exactement l’itinéraire
indiqué sur la carte allemande publiée à Gotha en 1835,
d’après les données fournies par Niebuhr, Ehrenberg et Rüp-
pell. Les renseignements que j ’ai recueillis moi-même de la
bouche des Arabes ne me laissent aucun doute à cet égard.
C’est la grande route de l’Arabie centrale ; elle se bifurque à