
rabie, quand on les interroge sur les Wahabites, n’ont rien ou
presque rien à dire de précis sur eux, sinon qu’ils condamnent
l’usage du tabac. Ce n’est pas qu’on ne puisse leur trouver des
imitateurs dans les contrées voisines; parmi les sunnites, plusieurs
musulmans rigides, — ceux entre autres qui appartiennent
à l’école malékite, — désapprouvent l’habitude de fumer,
qu’ils regardent comme indigne d’un vrai croyant. Dans la Wadi
Dowasir, le fanatisme est, sur ce point, plus aveugle que dans
l’Ared, et l’on peut en dire autant, si je suis bien informé, du
Djebel Asir.
Telle fut ce jour-là ma conversation avec Abdel-Kerim; je la
reproduis comme un spécimen des entretiens que nous eûmes
ensemble, mais je ne puis passer sous silence la scène qui se
passa entre nous à l’occasion de son entier rétablissement; c’est
un trait de moeurs qui peint l’homme et la nation.
Après trois semaines de traitement, les symptômes du mal
avaient si complètement disparu qu’Abdel-Kerim se déclara parfaitement
guéri, et nous ne le revîmes plus. Quand il s’était confié
à mes soins, nous étions convenus des honoraires qu’il aurait
âme payer; je lui rappelai sa promesse avec les ménagements
convenables. Cette première insinuation étant restée sans résultat,
une seconde et une troisième suivirent, chacune plus significative
que la précédente, mais tout aussi inutile. Plusieurs
habitants respectables joignirent leurs instances aux nôtres
pour pousser l’ex-zélateur à s’acquitter de ses engagements. Et
comme la somme dont il s’agissait ne dépassait pas quatorze
francs, la lenteur d’Abdel-Kerim à nous payer n’était pas moins
ridicule que mesquine. Rougissant de ses procédés, mais persistant
dans son mauvais vouloir, il s’avisa, pour sortir d’embarras,
d’un expédient assez original.
Une après-midi que j ’étais seul dans mon khawah, un coup retentissant
frappé à la porte m’avertit de fermer mon livre de notes
et d’aller ouvrir. Trois ou quatre de mes amis entrèrent avec la
figure joyeuse d’hommes qui ont une amusante nouvelle à raconter.
Us arrivaient du sermon de la grande mosquée ou Djamia.
En rendant compte de mon séjour à Hayel, j ’ai parlé de cette
sorte de prédication ; il n’y a pas ici de différence essentielle,
sinon que la cérémonie est beaucoup plus longue, l’auditoire
plus nombreux, et que deux fois sur trois le sujet est emprunté
à quelque dogme particulier de la secte. Ce jour-là, quand le
metowa eut achevé de lire quelques versets du Coran, Abdel-
Kerim s’avança pour en faire à haute voix le commentaire, suivant
l’usage du pays. Il prit pour texte de son discours la confiance
que chacun doit mettre en Dieu seul à l’exclusion de
toute créature. Puis, venant à une conclusion pratique, il s enflamma
contre ceux qui ont foi dans la médecine, déclarant un
tel préjugé hérétique et absurde à la fois, puisque la seule cause
effective de la santé ou de la maladie, de la vie ou de la mort,
est la volonté de Dieu. De là, il déduisit cette conséquence ingénieuse
et légitime que les médecins sont des êtres inutiles ,
qu’ils ne méritent ni remercîments ni récompenses. « Quand
même, ajouta-t-il, un homme semblerait avoir été guéri par de
tels moyens, son rétablissement serait une simple coïncidence,
non un effet direct, et le docteur n’aurait rien à réclamer, car
la guérison serait l’oeuvre de Dieu seul. La Ilah ilia Allah! (Il n y
a d’autre Dieu qu’Allah 1 )
Dans un autre moment, cette édifiante prédication n aurait
pas surpris l’assemblée ; malheureusement, Adel-Kerim étant un
des notables de la ville, chacun savait par coeur l’histoire de
sa maladie, son traitement et sa guérison. Sa thèse, quoique
parfaitement orthodoxe, fut attribuée à 1 inspiration de sentiments
peu honorables, et chacun le soupçonna d’avoir voulu plutôt
nouer les cordons de sa bourse que délier le noeud d’une question
de doctrine. Des sourires et des chuchotements accueillirent
l’orateur; puis, quand les assistants furent sortis de la
mosquée, ils échangèrent des commentaires ironiques et se livrèrent
à toute la gaieté que comporte le décorum nedjéen. Mes
amis, qui ne pouvaient s’empêcher de rire de nouveau en me
faisant ce récit, me promirent d’amener le lendemain Abdel-
Kerim à notre demeure sous un prétexte quelconque, et nous
nous entendîmes sur ce que nous devions dire et faire.
Ils tinrent parole; le jour suivant, dans l’après-midi, l’ex-zé-
lateur se présenta d’un air embarrassé à notre porte, accompagné
d’un groupe de curieux, parmi lesquels figuraient nos
hôtes de la soirée précédente. Après les politesses d’usage, et
quand la conversation eut pris le cours que nous voulions lui
donner : * Abdel-Kerim, lui dis-je, il est hors de doute que la
santé vient de Dieu seul et que le docteur mérite peu de remer