
tanls plusieurs hommes dont le visage annonçait une origine
septentrionale. Pendant ce temps, l’un des gardes, s’approchant
d’Yousef et de moi, nous offrit d’être notre hôte. Nous le suivîmes
à sa demeure, grand pavillon qui faisait partie des dépendances
du palais, et qu’habitaient une douzaine de gardes
royaux. Là je ne tardai pas à être pourvu d’un pantalon et d’un
turban. On alluma du feu, on nous donna des pipes et l’on prépara
le café, en attendant que l’on nous servît une nourriture
plus substantielle. Il nous fallut ensuite dire de nouveau notre
histoire ; chacun prenait part à notre infortune, cherchait à nous
rendre courage, et promettait de ne rien négliger pour nous
être utile. Nous fîmes un excellent repas composé de viande, de
riz, de raisins et de dattes, puis nous nous retirâmes pour jouir
d’un repos dont nous avions grand besoin, car le froid ne nous
avait pas permis de fermer les yeux pendant la matinée que
nous avions passée sur le rivage.
Quand je me réveillai, le jour était fort avancé. Yousef,
déjà debout, me proposa de visiter avec lui le palais et ses environs.
Tout auprès du château jaillit une abondante source
thermale, qui fournit des bains à la résidence du monarque ;
ces mêmes eaux, après s’être refroidies en passant par des
conduits ouverts, fertilisent un magnifique jardin dont les
frais ombrages s’étendent au loin dans le vallon ; le ruisseau
arrose ensuite des plantations de dattiers et de cocotiers. Le
soir, la campagne fut sillonnée dans tous les sens par une foule
affairée, au milieu de laquelle des officiers d’artillerie se reconnaissaient
à leur costume presque européen. Un peu avant le
coucher du soleil, nous vîmes arriver une grande troupe de cavaliers
qui s’arrêtèrent à la porte du palais. Leur chef, homme
aux larges épaules, au cou gros et court, à la tête énorme, portait
un manteau écarlate et avait l’un des plus superbes chevaux
que j ’eusse vus en Arabie. Ce n’était autre que le célèbre, ou
plutôt l’infâme Meteyri, bras droit de Khalid-Ebn-Sakar, instigateur
de ses cruautés. Il descendit de sa monture, en jetant
autour de lui des regards farouches; les serviteurs du palais
se hâtèrent de l’introduire, et les Arabes qui nous entouraient
murmurèrent tout bas des malédictions. Thoweyni, à ce que
l’on prétend, n’éprouve aucune sympathie pour son dangereux
allié, mais la politique l’oblige à ménager Ebn-Sakar; pendant
trois jours Meteyri demeura l’hôte du sultan, puis il alla re trouver
son maître à Shardjah. Quant à l’affaire qui l’amenait,
je n’en pus rien apprendre, peut-être faisait-il un simple voyage
d’agrément.
Deux des matelots, poussés par une curiosité fort naturelle,
retournèrent le soir même visiter la côte qui avait été témoin
de notre naufrage ; ils y trouvèrent les planches brisées de la
chaloupe, mais ils n’aperçurent aucun débris du navire. L’abîme,
profond de soixante-dix à quatre-vingts brasses, qui l’avait
englouti, garda sa proie tout entière.
Yousef et moi, nous nous promenâmes dans la vallée jusqu’au
coucher du soleil ; à notre retour, un des serviteurs du
palais nous remit deux tomans d’or en aj outant que nous ne tarderions
pas à recevoir de nouveaux témoignages de la libéralité de
Thoweyni. Cette modique somme était en effet insuffisante pour
nous permettre de continuer notre voyage, aussi avions-nous
résolu d’attendre le secours qui nous était promis, mais un
incident imprévu m’obligea de quitter précipitamment le
palais.
Nous venions de souper, la nuit se faisait noire et nous étions
tranquillement assis autour du fourneau sur lequel se préparait
le café, lorsqu’un nègre richement vêtu entra dans le kha-
wah ; après les saluts d’usage, il s’avança vers moi et me dit
que son maître me priait de lui accorder la faveur d’une visite.
Surpris de cette invitation, je suivis mon guide noir qui me
conduisit vers uneiente dressée à quelque distance. Là, je me
trouvai en présence de deux officiers turcs qui avaient, paraît-
il, été pendant plusieurs années au service du sultan de Con-
stantinople, mais, par des raisons à eux connues, ils avaient
jugé que l’air de l’empire ottoman ne leur convenait pas, en d’autres
termes, ils avaient déserté. L’un s’était rendu directement
à Mascate ; l’autre avait couru le monde, visité Bombay, Calcutta,
Singapour et Malacca; dans ses pérégrinations, il avait
rencontré une foule d’Anglais, d’indiens, de Malais; lui-même,
bien qu’il eût obtenu une commission dans les troupes turques,
appartenait à une famille albanaise. « Nous avons remarqué,
me dit-il dans le mauvais arabe particulier à cette sorte de gens,
que vous ne ressemblez nullement à vos compagnons et nous
en avons conclu que vous n’êtes pas de ce pays. » En pronon