
nables pratiques, et il quitta le pays avec une pieuse horreur.
Il expliquait du moins ainsi son retour inattendu; mais je soupçonne
fort que son incapacité, peut-être sa mauvaise conduite,
l’avaient fait expulser de Kasr-el-Eyni. Ce Mohammed était
l’être le plus stupide que j ’aie jamais rencontré; il m’honorait
d’une haine toute spéciale et inventait contre moi les plus
odieuses calomnies.
Si je ne craignais de lasser la patience du lecteur, je lui présenterais
encore le chef Towil, de la tribu des Oteybah, qui,
après avoir reçu mes soins pendant un temps assez long, profita
du retour de la santé pour s'enfuir de Riad, comme un vrai
Bédouin, sans payer le billet qu’il m’avait souscrit; je parlerais
du riche Abder-Rizzak et de sa somptueuse demeure bâtie dans
le vieux style nedjéen; de l’Abyssinien Fahd, dont la bonne humeur
et les vives manières contrastaient avec la gravité de ses
voisins arabes; du jeune Hamoud, blessé au siège d’Oneyzah,de
plusieurs autres malades et de quelques amis qui remplissaient
notre bourse ou égayaient notre séjour. Mais avant de quitter la
capitale, j ’ai encore beaucoup d’événements à raconter; aussi je
vais sans plus tarder m’acquitter d’une dette imposée par le
titre que j ’avais pris : car il serait impardonnable, quand on a
parcouru la Péninsule en qualité de médecin pendant une
année entière, de ne rien dire de l’état sanitaire de cette contrée.
J’esquisserai donc brièvement les principaux traits de la nosologie
arabe, et, ce devoir accompli, je reviendrai à notre premier
client Djowhar, qui nous introduira auprès des princes actuels
du Nedjed.
Le plateau central de l’Arabie, borné à l’est par le Djebel
Toweyk, au sud par la Wadi Dowasir, à l’ouest par le désert et
la route des Pèlerins, au nord par le Nefoud et le Djebel Sho-
mer, est une des régions les plus salubres que l’on connaisse,
une de celles par conséquent qui fournissent le moins de variétés
nosologiques. Sa pure atmosphère, la richesse de son climat,
sa température modérée en font un champ peu favorable aux
études médicales, et nos observations n’apporteront pas beaucoup
de lumières à la Faculté. La sobriété des Arabes les préserve
ordinairement de la goutte; je n’en ai pas entendu citer
un seul cas. Le cancer, si douloureux sous ses formes multiples,
e :t inconnu dans la Péninsule, et l’hystérie n’affecte pas davantage
les nerfs vigoureux des femmes ; en un mot, la plupart
des maladies qui paraissent provenir d’un climat malsain, du
défaut d’air et de lumière, d’un genre de vie trop éloigné de la
nature, de surexcitations excessives, de travaux intellectuels
assidus, ne se rencontrent jamais dans ces districts, et les habitants
n'ont même pas de mots pour les désigner. Les fièvres intermittentes
sont extrêmement rares : j’en ai vu à peine deux ou
trois exemples ; la rougeole paraît également étrangère au Nedjed,
mais il ne serait pas étonnant que 1 ignorance des médecins
wahabites eût confondu cette affection avec la petite vérole ou
la fièvre scarlatine. Le typhus et la fièvre typhoïde sont complètement
inconnus ici, et je n’ai même pas entendu dire qu’après
avoir sévi en Égypte ou en Perse, ces fléaux eussent traversé les
plateaux élevés de l’Arabie centrale.
Il est clair cependant qu’en dépit de ces vides dans les rangs
de la maladie, elle doit se produire sous d’autres formes, puisque
la durée de la vie humaine, pas plus dans la Péninsule que
dans tout autre pays du monde, ne dépasse soixante-dix à quatre-
vingts ans ; seulement un plus grand nombre de personnes
atteignent, je pense, à cette limite. S’il existait des registres
pour constater les naissances et les décès, on pourrait obtenir
des données exactes; en l’absence de chiffres officiels, il faut se
contenter d’évaluations approximatives. Après avoir longuement
discuté ce sujet, mon compagnon et moi sommes tombés d accord
que si la mortalité est plus grande parmi les enfants, à
raison de l’absence de soins hygiéniques, ceux qui échappent à
ces premiers périls arrivent d’ordinaire à une longévité fort
avancée.
Mais qu’elle vienne plus tôt ou plus tard, la mort ne perd
jamais ses droits, et, en Arabie comme ailleurs, il est rare de
mourir simplement de vieillesse ; les causes qui mettent fin à
la vie peuvent être latentes, elles n’en sont pas moins réelles,
bien qu’un esprit inattentif ne sache pas s’en rendre compte.
Quels sont donc les sentiers ordinaires par lesquels la race arabe
se rend à la demeure commune de l’humanité ?
Et d’abord, la Péninsule est souvent visitée, par de redoutables
épidémies; le choléra, avec son sinistre cortège de deuil et d é-
pouvante, a fait irruption dans le Nedjed ; et, chose singulière,
le plateau élevé qui sépare le Kasim du Djebel Shomer a été pré