
matelots au gouvernement central, et ils ont souvent rendu de précieux
services dans les guerres maritimes. Un chef particulier gouverne
chaque village et nul d’entre ces petits potentats ne semble
vouloir usurper la suprématie sur les autres ; le défaut de communications
au milieu de ces montagnes escarpées suffit, il est vrai,
pour empêcher toute sérieuse organisation administrative. Après
être restés quelques heures à Shaam, nous revînmes passer la
nuit à bord, car les dignes pêcheurs du rivage n’avaient à nous
offrir qu’une chère détestable, à laquelle nous préférâmes de,
beaucoup les provisions du navire. Le lendemain, nous mîmes à
la voile, contournant les pointes de terre, longeant les falaises,
tantôt glissant sur de vertes profondeurs à l’ombre épaisse de
hautes masses de rochers, tantôt fendant les eaux étincelantes à
la brillante clarté du soleil, tandis que de légers bateaux pêcheurs
sillonnaient la mer, ou s’arrêtaient pour décharger leurs filets ;
parfois, de grands navires se montraient au loin dans la direction
de Lindja ou de Bahrain. Avant midi, nous entrâmes dans
une baie magnifique, encaissée au milieu de sombres rocs
de basalte qui ne laissent qu’un étroit passage aux flots
dont la limpidité permet d’apercevoir le lit pierreux delà crique ;
ni la tempête ni les vagues ne peuvent y pénétrer. A l’extrémité
de la rade, se trouve une petite plaine arrosée par des
ruisseaux descendant des montagnes; les palmiers et les jardins
attestent l’activité des paysans de Khabb, nom peu harmonieux
de ce hameau pittoresque. Nous descendîmes sur la
côte où nous passâmes une couple d’heures ; le village se compose
de cabanes en chaume près desquelles étaient assis des
pêcheurs demi-nus. Il est superflu de dire que nulle part dans
le Rous-el-Djebâl, on ne trouve de mosquées, mais très-souvent,
une coupole entourée d’une clôture et d’un petit bois, tient lieu
de temple ou de mesdjid; les habitants l’appellent « mezar *
(réunion), les Nedjéens indignés lui donnent le nom de « sanam »
(idole). Ces édifices, comme ceux des Metawelah de Syrie, sont
souvent élevés en mémoire de quelque saint apocryphe, inconnu
aux mahométans orthodoxes. Le mezar de Khabb, joli dôme couronnant
une construction de forme carrée, avait pour patron un
certain Abbas, personnage réel ou imaginaire, sur lequel les
Arabes me débitèrent une légende fort embrouillée qui me parut
d’origine persane.
Des pêcheries considérables ont été établies le long de la côte;
elles tirent leur principale ressource de la vente d’un poisson
appelé metout, assez semblable pour la forme et la grandeur à un
petit anchois, mais d’une saveur beaucoup moins délicate. On le
sale, on le fait sécher au soleil, et on le mange sans aucune
autre préparation. Notre capitaine, qui se proposait d’en prendre
une cargaison, ne put s’entendre pour le prix avec les pêcheurs
; nous remontâmes donc à bord du navire afin de doubler
le cap dans la soirée. Quelques heures après, nous atteignîmes
l’étroit passage qui sépare de la côte les rochers les plus
avancés de Mesandum. Ce canal, appelé par les Arabes « Bab »
ou forte, présente un spectacle imposant avec ses eaux noires et.
profondes, ses terribles écueils contre lesquels viennent se
briser les vaisseaux poussés par la tempête. Le bruit incessant
des sombres vagues, pareil à celui d’un lourd marteau, a fait
donner au cap le nom de Mesandum (Enclume). En outre, une
masse énorme de rocs basaltiques, hauts d’une centaine de
pieds, s’élève à quelque distance dans la mer; on l’appelle « Sa-
lamah, » c’est-à-dire lieu de paix et de sécurité, probablement
par la même raison qui avait engagé les Grecs à nommer Eumé-
nides ou bonnes déesses les trois sombres divinités des Enfers.
En réalité, ces écueils ont causé de si nombreux naufrages que
les marins arabes les croient placés en cet endroit par le démon
lui-même. Plusieurs pics aigus, à demi cachés au milieu des
vagues, se groupent autour du rocher principal, ce sontles « Benai-
Salamah » ou Pils du Salamah. Au résumé, le canal étroit compris
entre les hautes falaises du cap, le sinistre Mesandum, le
terrible Salamahv et sa non moins redoutable famille, est loin
d’être sûr, particulièrement pour des navigateurs arabes. Enfin
les courants capricieux qui sillonnent la passe, les tempêtes
fréquentes qui s’amoncellent sur les montagnes de l’Oman ou
sur celles de la côte persane, rendent ces parages doublement
dangereux.
Nous ne devions pas tarder à en faire l’expérience. Un peu
avant le coucher du soleil, juste au moment où nous allions
franchir le Bab, le vent tomba tout à coup. Il se fit pendant une
heure un grand calme qui, rendant nos voiles inutiles, nous
obligea de suivre la direction du courant et de revenir sur nos
pas. Des rafales violentes s'élevèrent bientôt, la mer se gonfla