
rang en personne parmi les chefs nedjéens, honneur que le monarque
shomérite avait décliné, se sentant peu de goût pour une
entreprise dont il aurait pu dire, s’il avait fait des études classiques
: « Tua res agitur, paries cum proximus ardet. » Il n’en était
pas ainsi d’Obeyd ; ravi de trouver une aussi bonne occasion de
massacrer ses semblables au nom du Créateur, il rassembla en
toute hâte hommes et munitions, et arriva dans le Kasim vers
le milieu de décembre. Feysul alors donna le signal, et Abdallah
partit à la tête d’un corps de quinze mille hommes, composé des
troupes de l’Hasa et de l’Ared jointes à quelques détachements
des provinces méridionales. Ce renfort portait à vingt-trois ou
vingt-quatre mille le nombre des assaillants qui menaçaient
Oneyzah. Quatre ou cinq mille Bédouins, hésitant d’abord et ne
sachant de quel côté se ranger, avaient enfin pris le parti prudent
de se déclarer pour celui des combattants dont la victoire
paraissait assurée. La ville, abandonnée à ses propres ressources,
comptait au plus quatre mille défenseurs.
Après de nombreuses escarmouches, une bataille décisive fut
livrée en janvier. Zamil et El-Kheyat accomplirent des prodiges
de valeur; Abdallah, entouré par les Kasimites, manqua d’être-
tué, malheureusement il ne le fut pas et remporta une victoire
complète. Les guerriers d’Oneyzah comprenant qu’ils ne pouvaient
lutter en rase campagne contre un ennemi qui avait l’avantage
du nombre, rentrèrent dans la ville, résolus à vendre
chèrement leur vie.
Les choses en étaient là, quand Abdel-Aziz nous donna les
détails que je viens de rapporter. J’appris au mois d’avril suivant
le dénoûment de cette lugubre tragédie. Après un mois de
siège, les fortifications tombèrent devant l’artillerie nedjéenne.
La cité fut prise d’assaut, les habitants combattirent avec une
héroïque bravoure; lorsqu’enfin tout espoir dut être abandonné,
Zamil et Kheyat, se frayant un passage au milieu des
ennemis, parvinrent à gagner la Wadi-Nedjran, où, dit-on, ils *
sont encore cachés. Sept cents notables d’Oneyzah furent passés
au fil de l’épée par les vainqueurs, qui, non contents de cette-
boucherie, livrèrent la ville au pillage et massacrèrent une
grande partie du peuple. Aucune barrière ne sépare plus
maintenant la Mecque des armées wahabites, et tout se prépare
pour la réalisation du rêve ambitieux de la dynastie necjjéenne,
la souveraineté de la cité sainte. Ce projet caressé depuis si
longtemps, gloire du premier Abdallah et cause de sa ruine, paraît
devoir être accompli par le second. L’empire ottoman a
laissé échapper l’occasion qui s’offrait à lui d’arrêter les progrès
des fanatiques sectaires en soutenant la cause d’Oneyzah; le
shérif de La Mecque, pour employer une phrase populaire, n’est
maintenant plus en état de faire autre chose que de fermer la
porte de l’écurie, après que les voleurs ont enlevé le cheval.
L’Égypte peut-être, ou quelque puissance plus entreprenante,
pourrait arracher la Péninsule arabe'à fa flétrissure du joug
wahabite, mais il ne m’appartient pas de lever le voile qui
couvre l’avenir. Je reviens à Charak, où nous avons laissé Abdel-
Aziz se réjouissant de la vengeance qu’Allàh venait d’exercer sur
les infidèles Kasimites, et racontant la gloire de l’armée orthodoxe.
Après avoir pris le café, nous quittâmes le gouverneur. Fâris,
avec une politesse et un tact bien rares en Orient, offrit de nous
montrer ce que la ville renferme de remarquable. C’est peu de
chose, à vrai dire ; mon cicerone me conduisit voir les ruines
des anciennes fortifications de la cité, dont il suivait avec l’intérêt
d’un antiquaire les traces à demi perdues au milieu des arbres
et des cultures. De là, nous nous rendîmes auprès d’une
petite colline marneuse sur le sommet de laquelle se dresse
le fort que j ’ai déjà décrit. Il est situé au delà des anciens
remparts, qui décrivent à partir de la mer un demi-cercle
d’une circonférence de deux milles; un torrent, impétueux ên
hiver, desséché pendant les chaleurs, descend des montagnes
de la Perse et passe au centre de Charak comme une flèche traverse
un arc tendu. Des figuiers, des orangers, des citronniers
croissent entre les remparts et les maisons de la ville; en dehors
s’étendent de maigres plantations de palmiers ; plus loin, des
villages sont disséminés au milieu de la plaine rocheuse, mais
ils paraissent pauvres, la vie et-la richesse du pays étant concentrées
sur le rivage. Les puits ne manquent pas à Charak qui,
sous ce rapport, est mieux partagée que les autres bourgades du
Barr-Fâris; malheureusement les eaux ont un goût saumâtre
fort désagréable.
Le reste du jour fut employé à prendre des informations sur
les moyens de continuel notre voyage. Il se fait peu de commerce