
d’Arabie, substitution avantageuse, car elle rend les calculs
beaucoup plus faciles. Nous nous sentions maintenant forts de
notre alliance avec le propriétaire du café, et en outre nous
fûmes appuyés par un jeune marin qui demeurait à côté du
logis pour lequel nous venions de traiter. Ce dernier prit en
main notre cause, nous conseilla de ne rien payer au-dessus du
tarif légal, et avec son aide nous réussîmes à faire entendre
raison aux avides publicains. Plaçant ensuite nos bagages sur un
âne, nous traversâmes la place du marché, accompagnés de
nos nouveaux amis; quelques ruelles tortueuses nous conduisirent
à notre destination, et après avoir franchi une porte
étroite nous nous trouvâmes dans un grand enclos formé par
une palissade haute d’environ huit pieds. Elle renfermait deux
longues cases en feuilles de palmier, l’une pour nous, l’autre
pour notre marin et sa famille. Notre demeure avait environ
trente pieds de long sur dix de large et autant de hauteur ; une
cloison clayonnée partageait l’intérieur en deux compartiments
inégaux; le plus petit servait de réserve, le plus grand d’habitation.
Le plancher était couvert, suivant l’usage, d’une épaisse
couche de menus coquillages presque tous du genre des hélices,
et dont chacun est long d’un huitième de pouce au plus. Les
enfants vont chercher sur le rivage cette sorte de poudre qui
entretient la propreté et la sécheresse; on avait étendu pardessus
une grande natte rouge. A peine avions-nous pris quelques
dispositions pour embeller et meubler l’appartement, que
nous reçûmes la visite du propriétaire lui-même qui, sortant de
la jolie maison en briques qu’il occupait dans le voisinage, vint
voir notre commencement d’installation ; ses serviteurs apportèrent
bientôt pour les nouyeaux hôtes un repas composé de riz,
de poissons, de crevettes et de légumes. Nous invitâmes les amis
dont l’obligeance nous avait procuré cet asile, à partager notre
souper, et nous passâmes tous ensemble une soirée fort agréable,
rendue plus douce encore par le sentiment de calme et de
sécurité qui remplissait nos âmes et que nous n’avions pas souvent
éprouvé depuis notre départ de Jaffa.
Le lendemain matin, nous nous mîmes de nouveau en quête
d’Abou-Eysa, mais sans aucun succès. Pas un bâtiment n’était
venu d’Adjeyr depuis plusieurs jours, et le vent du nord, qui
soufflait avec violence, devait retarder l’arrivée du guide.
Nous étions au 28 décembre 1862, notre attente se prolongea,
au milieu d’alternatives d’espoir et de désappointement,
jusqu’au 8 janvier de l’an de grâce 1863. Dans l’intervalle, ayant
peu de chose à faire, — nous avions abdiqué nos fonctions médicales
pour devenir tout à fait des gentlemen, —nous acquîmes
sur la ville et ses habitants des notions que je vais brièvement
résumer. Peut-être ne sont-elles pas nouvelles pour le lecteur,
car plus d’un Anglais a déjà visité les îles Bahraïn. Cependant
beaucoup de gens voyagent sans jamais décrire les lieux qu’ils
ont parcourus ou du moins sans en donner une fidèle image.
Pour nous, allant et venant par les rues, tantôt nous entretenant
avec un ami, tantôt assistant à une dispute, nous ne tardâmes
pas à connaître Menamah aussi bien que si nous eussions grandi
dans son enceinte.
La ville s’étend beaucoup plus en longueur qu’en largeur; près
de la mer, elle a environ un mille et demi, tandis que du côté de
la terre, les maisons ne s’avancent pas à plus d’un tiers de mille.
Le rivage est élevé de douze pieds au-dessus de la marée montante
; le sol s’abaisse ensuite vers l’intérieur et l’eau saumâtre
qui filtre à la surface fait présumer que, sur plusieurs points,
l’île doit être, comme la Hollande, moins haute que la mer environnante.
La plupart des habitations sont de simples huttes de
feuillage; elles varient de grandeur, mais elles suivent un alignement
assez régulier; presque toutes sont occupées par
des fils de Neptune, pêcheurs, matelots, capitaines de marine,
etc. ; aussi, à chaque pignon, flotte un morceau d’étoffe fixé
en guise de banderole au bout d’une perche pour indiquer d’où
le vent souffle. De grandes maisons construites dans le style persan
s’élèvent au milieu de ces cabanes, ou forment dans la ville
des quartiers séparés. Elles sont élégantes et spacieuses, ornées
d’arcades ogivales, de balcons, de terrasses, de portiques, de fenêtres
treillissées. Là demeurent les riches habitants de la ville,
les négociants, les propriétaires, les fonctionnaires publics. Malheureusement,
une grande partie de ces bâtiments tombent en
ruines et ne présentent plus que des colonnades brisées, des
monceaux de décombres, tristes preuves d’une décadence dont
j ’expliquerai tout à l’heure les causes. Près de la mer on a bâti
le marché, labyrinthe d’étroits passages, protégés les uns par
une voûte, les autres par une toiture de chaume; au milieu se
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