
chronologie plausible en dépit de certaines erreurs manifestes,
méritent assurément le respect, lors même qu’elles n’imposeraient
pas la conviction. Si nous adoptons les données primitives,
il faut nous attendre aussi à voir la vérité subir dans le cours
des âges de nombreuses altérations, surtout si les événements
nous sont transmis par des voies indirectes et défectueuses.
Ainsi, tout en reconnaissant l’exactitude des généalogies mosaïques,
car je ne sais trop quel motif nous aurions pour les rejeter,
je ne parviens pas à en tirer d’aussi vastes conclusions que les
anciens chronologistes ; la base est trop étroite, nous devons le
reconnaître, pour l’édifice que l'on prétend construire au-dessus
; mais en même temps, solide et inaltérable, elle résiste aux
attaques de ceux qui cherchent à la détruire. Les uns veulent
trouver dans la Bible ce qu’elle ne contient pas, les «autres ne
voient pas ce qu’elle renferme. Cependant, il n’y a pas d’inconvénient
à se servir de termes symboliques, si imparfaits qu’ils
soient, quand on n’a pas de meilleur moyen d’exprimer une
idée ; il ne faut que du discernement pour les ramener à leur
valeur véritable, les enthousiastes et les sceptiques peuvent seuls
s’y tromper.
Kahtan, le Jessan des Hébreux, est considéré par les Arabes
de l’Yémen comme le père de leur race, le fondateur de leur
nationalité. Cette tradition est confirmée par la concordance qui
existe entre les noms de ses nombreux enfants, consignés dans
les livres saints, et ceux des principales localités de l’Arabie
méridionale. Le même accord se retrouve dans les faits qui nous
ont été transmis par les Arabes et par les Juifs touchant 1 établissement
d’Ismaël au nord de la Péninsule. Mais bientôt après
se produit une curieuse divergence. Tandis que la Genèse fait
épouser au fils d’Agar une femme égyptienne, les chroniques
arabes l’allient à la famille de Djorhem, descendant de Kahtan.
Cette contradiction apparente s’expliquerait en supposant
qu’Ismaël était polygame, ce qui arrivait souvent dans les âges
primitifs. Toutefois il faut chercher ailleurs la vérité.
Le savant Fresnel, si j ’ai bonne mémoire, a indiqué la solution
du problème qui nous occupe. Les écrivains mahométans
seuls parlent de l’union d’Ismaël avec la fille de Djorhem; or,
en leur qualité de disciples du Prophète, ils étaient tenus d ’augmenter
autant que possible le lustre de la généalogie du maître.
Mahomet, on le sait, descendait de la famille ismaélite; il appartenait
à la tribu des Kenanah qui tire son origine de Nezar,
dont le nom servait de cri de ralliement aux Arabes du nord
«pendant leurs luttes avec les Yémanites. Mais l’antiquité supérieure
des Kahtaniles, la pureté de leur race les rendaient supérieurs
aux clans ismaélites; à eux seuls s’appliquait le titre
•d’Arabes dans le sens primitif du mot. Le Prophète aurait donc
été d’extraction moins noble que les races auxquelles il voulait
imposer son joug et sa doctrine; ses aristocratiques disciples auraient
pu mépriser sa naissance plébéienne; c’était là un inconvénient
sérieux aux yeux des Orientaux; pour l’atténuer, on
imagina un mariage avec une famille kahtanite, et l’on obtint
d’une mère djorhemite l’honneur que le fils d’Abraham ne pouvait
conférer. Une telle alliance anoblit toutes les tribus du
nord de la Péninsule, et les fit monter au niveau des chefs
orgueilleux de l’Yémen, en même temps qu’elle fournissait un
nouveau motif pour l’union politique et religieuse.
Tous les témoignages de l’histoire et de la tradition repoussent
néanmoins cette parenté imaginaire, et le cours des événements
pendant les siècles postérieurs atteste la diversité des
deux grandes races. Nous verrons aussi quelle lumière peut
«fournir l’observation personnelle de la vie, des institutions, de
la langue arabes. Les faits portent avec eux un sérieux enseignement,
et l’on peut y ajouter une foi d’autant plus complète qu’il
est difficile d’en altérer le sens. Jusqu’ici nous avons voyagé
parmi les familles du nord, nous touchons maintenant aux limites
des tribus méridionales; nos anciens hôtes prétendaient
être les enfants de Nézar et-d’Ismaël, ceux que nous allons rencontrer
se déclareront descendants d’Yareb et de Kahtan. Nous
avons appris à connaître les premiers pendant la paix et pendant
la guerre, dans la famille et dans l’État, nous allons maintenant
étudier les autres. Quant à savoir si Ismaël et Kahtan ne font
qu’un, c’est une question qui appartient à l’histoire et à la critique
et dont la solution ne peut infirmer le fait d’une diversité
de sang manifeste et réelle.
Le nombre considérable des nègres esclaves à l’est et au centre
de la Péninsule les place aussi dans des conditions d’existence
nouvelles assez fréquentes en Orient, bien qu’elles ne soient pas
facilement réalisables aux Indes occidentales. Je veux parler de