
les hâbleries de divers écrivains, l’ignorance de certains autres.
Quelques changements, il est vrai, se sont produits dans la Péninsule
depuis un siècle; il faut aussi distinguer dans le récit
de Niebuhr ce qu’il affirme avoir vu lui-même et les faits qui
lui ont été racontés par les Arabes ; il connaissait peu la langue
du pays, et cette difficulté l’empêcha souvent de se procurer des
renseignements exacts, si grandes que fussent d’ailleurs sa vaste
érudition et sa puissance de critique. A cet égard, notre compatriote
Lane, — si l’Égypte nous permet encore de l’appeler ainsi,
— possède un grand avantage sur l’explorateur danois ; il nous a
laissé de la race arabe, ou pour mieux dire de ses colonies sur les
bords du Nil, un portrait plus vivant et plus accentué que celui
de Niebuhr.-
Le café de l’Yémen est exporté par trois routes différentes : la
mer Rouge, FHedjaz et le Kasim qui aboutissent, la première à
l’Égypte, la seconde à la Syrie et la troisième au Nedjed et au
Shomer. Il en résulte que l’Égypte et la Syrie sont, après la Péninsule
arabe, les pays les mieux approvisionnés de la précieuse
denrée ; Alexandrie et les ports syriens en envoient à Constan-
tinople une faible portion. Mais à cette dernière étape, les balles
contiennent bien rarement le produit authentique, il faut pour
cela une circonstance exceptionnelle telle que des relations d’amitié.
Lorsque la spéculation agit seule la substitution d’une
qualité inférieure se répète plusieurs fois dans les différents entrepôts
de la côte, et enfin le café décoré du titre de moka qui
s’expédie en Europe ou en Amérique ne ressemble pas plus au
véritable café de l’Yémen que l’infusion de bois de campêche
débitée sur le comptoir d’un marchand de vin à la généreuse liqueur
d’un vignoble de Porto.
La seconde espèce, que certaines personnes placent au-dessus
de celle de l’Yémen.mais qui, suivant mon humble avis, est
bien inférieure, provient de l’Abyssinie ; le grain est plus gros,
mais il est doué d’une vertu moins tonique. Ce café fournit cependant
un excellent breuvage et, sur tous les points du pays
fertile où il sera permis, de le propager, il deviendra l’objet
d’une culture considérable, d’un commerce important : à cela se
borne, au moins selon les Orientaux, la liste des différentes sortes
de café et c’est ici que commence celle des fèves.
Les produits de l’Inde, avec une faible quantité de ceux que
fournissent les plantations de l’Oman se placent en première
ligne. Cette catégorie pourvoit aux besoins des buveurs de café
de Dafar à Bassora et de Bagdad à Mossoul. Arabes, Persans,
Turcs, Kurdes, n’en connaissent pas d’autre, celui qui n’a ja mais
goûté de vrai moka peut trouver la variété de l’Inde jusqu’à
un certain point agréable. Mais, sans aucune prétention au
dilettantisme gastronomique, je dois dire qu’un voyageur fraîchement
arrivé du Nedjed ou du Kasim ne pourra guère la supporter.
La forme irrégulière et tronquée de ¡a fève, sa teinte
noirâtre, son opacité qui contraste si fort avec la demi-transparence
du café de l’Yémen, rendent la différence aussi sensible à
l’oeil qu’elle l’est au palais.
Il se peut qu’avec des efforts persévérants, on parvienne à obtenir
dans l’Inde un café qui soutienne la concurrence avec celui
de l’Yémen, ou au moins de l’Abyssinie. Mais jusqu’à présent
on n’y est certainement pas arrivé, bien qu’il soit difficile de
dire si la cause de cette infériorité provient du sol, du climat ou
du mode de culture.
Les Orientaux placent le café d’Amérique tout à fait au dernier
rang; en effet, la dégénérescence de ce produit dans le nouveau
monde n’est pas moins remarquable que celle du riz ou du
thé.
Quant au café de Batavia, je n’en dirai rien, n’ayant pas eu
occasion de le goûter, sciemment du moins. Je crois qu'en Europe
on en fait un certain cas; mais les Arabes n’en ont ja mais
parlé devant moi, peut-être le confondent-ils avec celui de
l’Inde.
Dans le chapitre consacré au Djowf, je crois avoir décrit avec
assez de détails les opérations à l’aide desquelles on transforme
la fève en liqueur; les procédés suivis au Nedjed en diffèrent
peu; seulement on ajoute beaucoup plus de safran et de clous de
girofle ; ce qui s’explique par l’absence du stimulant que le tabac
procure partout ailleurs. Cette privation porte aussi les
Arabes du Nedjed à augmenter la force des infusions, et à en
faire un usage beaucoup plus fréquent; les hommes sont partout
les mêmes, si on les prive d’un genre de plaisir ou d’excitation,
on peut être sûr qu’ils le remplaceront aussitôt par un
autre.
Et, à ce propos, me sera-t-il permis d’ajouter quelques ré-
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