
sous le rapport des moeurs et de la religion, avec nos anciens
amis les Sherarat. Leur teint est presque aussi foncé que celui
des nègres ; ils n’ont pour armes que des lances et des couteaux :
ce sont eniin de véritables sauvages, qui ne conservent d’autre
trace de leur origine que l’éloquence naturelle aux Arabes. Du
reste, je les ai toujours trouvés bons et hospitaliers, quoique
rudes et pillards, comme tous les Bédouins.
L immense désert sur lequel ils sont répandus couvre au
moins un quart de la Péninsule, depuis le Nedjed jusqu’à l’Ha-
dramaut; ils ne l’occupent pas tout entier, on le pense bien,
mais ils ont la libre possession des pâturages, des arbrisseaux,
des palmiers nains qui entourent les puits maigrement approvisionnés
d une eau bourbeuse. Ces oasis, assez nombreuses pour
empêcher un nomade égaré de mourir de faim, ne peuvent
cependant servir à tracer une route régulière au milieu du
Dahna central. Le large bras de sable que nous traversions part
du sud, sépare le Djebel-Toweyk de l’Hasa et se termine dans la
plaine de Zobeyr, au delà de Koweyt..
Abou-Eysa demanda aux Bédouins quelques renseignements
sur la route que nous devions suivre. Cette circonstance nous
permit de prendre un instant de repos, sans toutefois descendre
de nos montures. Une heure après, nous aperçûmes le redjm
élevé par notre guide. Certains désormais que nous étions sur
la bonne voie, nous hâtâmes notre marche afin de sortir au
plus tôt de cette région désolée. Vers le soir, nous aperçûmes
dans la direction de l’orient une multitude de points noirs qui,
de loin, ressemblaient à des fourmis. C’était le principal corps
d’armée de l’Hasa; les troupes s’avançaient avec lenteur, traînant
péniblement au milieu des sables deux lourds canons
envoyés pour le siège d’Oneyzah. Je comptai environ sept ou
huit cents hommes ; ils passèrent à une distance d’un quart de
mille, mais aucun de nous n’eut la curiosité de faire un détour
pour échanger avec eux quelques paroles.
Après le coucher du soleil, nous atteignîmes le second redjm
ou cairn, si toutefois on peut appeler cairn un amas de pierres
sous lequel personne n’est enseveli. Ici l’aspect du désert
commence à changer, le sable mêlé de cailloux enfonce moins
sous les pieds des chameaux. Nous fîmes halte, pour préparer
notre souper, je devrais dire plutôt notre déjeuner, car nous
n’avions pris encore aucune nourriture. Chacun se réjouissait
de sortir bientôt du désert; malheureusement le succès d’Abou-
Eysa, l’habileté avec laquelle il nous avait conduits, éveillèrent
dans le coeur d’El-Ghannam le fâcheux sentiment qui, surtout
en Arabie, « suit le mérite comme l’ombre accompagne le
corps. » La prédominence de cette sombre passion altère, je
dois en convenir, le parallèle que j ’ai établi ailleurs entre l’Angleterre
et l’Arabie ; si les Anglais et les Européens, en général,
sont susceptibles d’envie, ils ne sauraieilt ressentir cette passion
au même degré que les Orientaux. Quoiqu’il en soit, une rupture
ouverte éclata entre les deux chefs; le chemin étant désormais
facile à reconnaître, Ghannam chercha le moyen d’envenimer
la querelle. On échangea des paroles assez vives, et une « yowm »
(collision) paraissait sur le point d’éclater. Sur ces entrefaites,_
Barakat et moi, nous jugeâmes à propos d’intervenir; nous
suggérâmes à Abou-Eysa, qu’il était préférable de marcher en
avant avec nous et tous ceux qui voudraient le suivre, afin de
compléter son triomphe sur El-Ghannam, en arrivant le premier
à Hofhouf. Detto, falto, nous partîmes avec deux ou trois
membres de la caravane, laissant là nos adversaires stupéfaits.
Le sol, qui se composait en proportion égale de cailloux, de
marne et de sable, s’abaissait vers l’Orient ; sa blancheur stérile,
qui n’était interrompue çà et là que par des bandes de buissons
bas et épineux, brillait jusqu’à l’extrême horizon. Abrités par
une touffe d'arbrisseaux, nous nous reposâmes pendant quelques
heures, et le lendemain nous eûmes à traverser une
plaine extrêmement monotone qui, pour le niveau et le caractère,
ressemblait exactement à celle que nous avions parcourue
la veille. Quelques pèlerins, qui nous prirent pour des brigands,
et faillirent mourir de peur, tant nous avions mauvaise mine,
furent notre seule rencontre pendant quarante lieues de marche.
Pour des villages, de l’ombre ou des puits, il est inutile de
dire qu’il n’en fut pas question; heureusement la chaleur était
beaucoup plus supportable pendant cette partie du trajet qu elle
ne l’avait été au milieu des sables.
Enfin, d’abruptes collines calcaires et d’étroites gorges resserrèrent
notre route; nous descendîmes au fond d’une dépression
du sol, où nous trouvâmes un grand arbre solitaire;
couvert de plus d’épines que de feuilles. « En ce lieu, nous