
une femme semblerait fort ridicule. « La Mère des Sept » est
une source thermale qui, s’échappant d’un profond bassin naturel,
forme sept courants dont les eaux coulent en différentes
directions et répandent la fertilité dans le pays. Nous étions une
douzaine au moins pour cette excursion qui devait prendre une
grande partie du jour, car l’Omm-Sabaa est située à neuf milles
d Hofhouf, vers le nord. Nos compagnons, amis d’Abou-Eysa, se
composaient de cinq riches marchands arabes, de deux mulâtres,
un nègre et deux ou trois jeunes gens. Le guide avait refusé
de venir avec nous, mais sa femme nous avait largement
approvisionnés de poulets bouillis, de café, de gâteaux et autres
friandises. Nous partîmes montés sur des ânes, en ayant soin
toutefois de ne pas traverser la ville pour éviter les espions,
nedjéens. Au lieu de suivre les rues, nous longeâmes les remparts,
et gagnâmes une étroite chaussée, du haut de laquelle
nous faillîmes plus d’une fois tomber sur le dos des buffles qui
se vautraient dans la fange. En cette occasion, je me convainquis-
par expérience que, dans leurs parties de plaisir, les Arabes-
peuvent rivaliser d entrain et de folie avec des écoliers européens
un jour de vacances. Nous passâmes devant Mebarraz,
son fort et sa source, puis nous gagnâmes de toute la vitesse de
nos montures une large plaine éloignée de trois ou quatre milles,
et bordée sur la droite de palmiers dattiers; la chaîne de l’Hasa,
fantastique et aride, s’étendait sur notre gauche, et tout le long
de la route, s’élevaient de distance en distance, des tours de
garde et des forts en ruines. La route, qui se rétrécit bientôt,
nous conduisit près de deux grands villages, nous contournâmes
ensuite des plantations et des marais, jusqu’à ce qu’enfin, côtoyant
un large cours d’eau bordé* de gazon, nous arrivâmes
à l’Omm-Sabaa.
La fontaine jaillit au milieu d’un bassin circulaire de cinquante
pieds de diamètre environ et d’une profondeur considérable
; les eaux en sont tellement brûlantes qu’aucun baigneur
n’ose s’y plonger avant de s’être préparé en introduisant par degrés
ses bras et ses jambes. Le réservoir est toujours plein jusqu’aux
bords, et sept ouvertures de la margelle de pierre laissent
passer autant de gerbes d’eau, dont chacune serait assez large
et assez profonde pour faire mouvoir les roues d’une usine, si
1 on savait utiliser cette force. Quelques-uns des canaux sont
l’oeuvre de la nature ; mais le nombre sept montre que l’art a
dû intervenir; je ne puis affirmer qu’il faille y voir une préoccupation
du culte planétaire ; cependant une disposition analogue
que nous rencontrerons plus tard dans les citernes de la côte de
Perse, et qui doit évidemment son origine à la religion sa-
béenne, me disposerait à émettre la même conjecture au sujet
de l’Omm-Sabaa. La maçonnerie qui entoure le bassin est évidemment
ancienne; malheureusement, comme j ’en ai fait la
remarque, nulle part, dans l’Arabie centrale et orientale, on ne
trouve de traces d’inscriptions. Des dattiers ombragent les rives
couvertes d’un gazon touffu ; des masses épaisses de végétation
dérobent à la vue le petit village de Zekkah, qui se trouve à un
quart de mille vers l’est. Les eaux de l’Omm-Sabaa coulent
sans interruption, été comme hiver. Les poissons, la grenouille
et les autres animaux aquatiques ne peuvent vivre dans l’eau
chaude du bassin ni même dans la partie des courants voisine
de la source; mais un peu au-dessous, ils sont en grande abondance.
Le soleil brille maintenant au méridien dans tout son éclat ;
il souffle une brise délicieuse. A l’examén complet de la fontaine,
succèdent le bain, la natation, la joute, l’absorption d’une
tasse de café, la causerie, puis le repas. Toutes choses allant
à souhait, notre joie fut sans mélange jusqu’au moment où
nous nous aperçûmes que, par une de ces inadvertances qui
accompagnent toujours un pique-nique, nous n’avions pas apporté
de tasses à café; nous [ne reconnûmes cet oubli qu’au
moment où la liqueur fut prête, et nous allions être réduits à la
boire dans la cafetière quand l’un d’entre nous, plus avisé que
les autres, eut l’idée de mettre à l’épreuve la générosité des
habitants de Zekkah. 11 courut au milieu du village d’où il revint
bientôt avec un assortiment complet de coupes. Ce sont là, j ’en
conviens, des détails insignifiants, aussi n’en parlerais-je point
si je ne les croyais de nature à mettre les lecteurs en défiance
contre maintes descriptions guindées et empesées de la vie
orientale. Cependant, l’asr est venu ; par un accord tacite, nous
supposons que nous avons dit les prières, nous remontons en
selle et nous galopons vers le logis ; quelques-uns de nos compagnons
tombent en route, d'autres s’arrêtent pour les aider à
se relever ; enfin, nous arrivons tous sains et saufs à Hofhouf,