
donne les juments, et l’on a soin de choisir les moins beaux
étalons.
Abdallah, Saoud et Mohammed ont chacun une écurie particulière
qui renferme environ une centaine de chevaux. Après
beaucoup d’enquêtes et de recherches, nous finîmes, mon compagnon
et moi, par conclure que le nombre total de ces animaux
dans le Nedjed ne dépasse pas cinq mille. On les réserve
pour le combat et la parade,— ce qui n’empêche pas les cavaliers
d’être fort rares dans les armées wahabites,—et l’on se
sert de chameaux pour les voyages ou les travaux pénibles.
On a raconté beaucoup de curieuses histoires sur la prétendue
familiarité des Arabes avec leurs montures ; à sa naissance,
le poulain est reçu dans les bras des assistants, qui se garderaient
de le laisser tomber à terre; il partage les jeux des enfants,
boit et mange avec son maître, on le soigne tendrement
quand il est malade, et sans doute, lorsque l’occasion s’en présente,
il rend le même service aux membres de la famille. Que
le cheval arabe soit plus doux, j ’ajouterai même plus intelligent
que son frère « de la joyeuse Angleterre, » malheureux prisonnier
renfermé dans une étroite et sombre cellule, je l’admets
volontiers ; il ne saurait, hélas ! en être autrement. La liberté
dont jouit le quadrupède nedjéen, ses rapports fréquents avec
l’homme, développent avantageusement ses instincts généreux;
cependant les Arabes ne se croient obligés, ni de laisser leur
jument mettre le nez dans leur potage, ni de remplir auprès
d’elle l’office de sage-femme quand- elle est dans une situation
intéressante. Je ne prétends pas dire que les anecdotes rapportées
par un grand nombre d’auteurs soient absolument fausses;
mais je n’ai jamais été témoin d’aucune scène semblable et je
n’en ai même jamais entendu parler. Pour mon compte, le seul
hommage que je puisse rendre à l’intelligence et à la sociabilité
des chevaux arabes, c’est de reconnaître qu’ils mangent dans
la main et viennent vers celui qui les appelle avec une docilité
dont les esprits invisibles n’ont pas fait preuve quand j ’ai essayé
de les évoquer. Il me faut donc, jusqu’à plus amples informations,
ranger les autres qualités qu’on leur attribue parmi
les fables auxquelles le désert a souvent donné naissance.
Après m’être promené au milieu de ces magnifiques animaux,
en compagnie des palefreniers, grands appréciateurs de tous
les mérites hippiques, j’examinai la jument gris de fer dont il
s’agissait, j’en vis une autre qui était privée d’appétit, je prescrivis
un traitement inoffensif, puis je partis en jetant un long
regard de convoitise sur les écuries, où cependant je fis plus
tard d’assez fréquentes visites, motivées par mes fonctions de
docteur.
Plus loin, quand je franchis les limites orientales du Toweyk,
je vis la race arabe décroître rapidement en beauté, en grandeur
et en force. Les spécimens que je rencontrai dans l’Oman
ressemblaient considérablement aux chevaux hindous ; mais
dans les districts orientaux de l’Arabie, les dromadaires suppléent
à la disette des solipèdes.
Les chevaux du Nedjed sont surtout renommés pour leur vitesse
et leur résistance à la fatigue ; courir vingt-quatre heures
par monts et par vaux, sans boire ni se ralentir un instant, est
assurément un mérite; mais soutenir le même effort et la
même privation sous le soleil brûlant de l’Arabie pendant quarante
huit heures consécutives, c’est, je crois, un privilège
particulier aux animaux de race arabe. Ils ont de plus une délicatesse,
je ne dirai pas de bouche, car il n’est pas rare de les
monter sans mors ni bride, mais de sensibilité, qui les rend
dociles à la pression de la cuisse et du genou, au plus léger
mouvement du licol, au moindre appel du cavalier. Je me suis
souvent servi de chevaux arabes, et sans selle, sans rênes ni
étriers, je les ai fait tourner sur eux-mêmes, partir au grand
galop, puis je les ai arrêtés court ; les intelligents animaux exécutent
la volonté de leur maître avec une telle promptitude que
le cavalier et sa monture semblent ne plus former qu’un seul
être, comme le centaure de la fable. Ce résultat est dû en grande
partie à l’habile système de dressage employé dans la Péninsule;
ici, la vitesse d’un cheval serait peu appréciée, si elle ne se
joignait à la souplesse et à la douceur, car soit à la parade, soit
sur le champ de bataille, il importe plus à un Arabe de manoeuvrer
aisément sa monture, que daller en avant avec la
rapidité d’une flèche. Il en est de même pour le djerid, ce tournoi
de l’Orient qui diffère peu dans le Nedjed de ce que j ai vu
en Syrie et en Egypte. J ’ajouterai que sur les plateaux pierreux
du Djebel Toweyk, les chevaux sont toujours ferrés, mais fort
grossièrement ; on pare à peine le sabot, et Ton y enfonce inva