
flexions sur la règle fameuse qui interdit l’usage du vin aux
sectateurs de Mahomet? On a expliqué de bien des manières la
défense du Prophète, mais aucune ne me paraît satisfaisante.
Les chrétiens d’Orient ont inventé, — car c’est une pure fable,
— que Mahomet s’étant un jour enivré, tua son maître et son
ami, le moine nestorien Boheyrah, connu dans les annales ecclésiastiques
sous le nom de Sergius; que désespéré du crime
qu’il venait de commettre, il avait pour toujours prohibé la liqueur
maudite qui prive l’homme de la raison. La moindre connaissance
des dates et des faits montre avec évidence la fausseté
d’une telle allégation; aussi l’aurais-je passée sous silence si
quelques Européens n’avaient paru la prendre au sérieux.
D’autres, — les mêmes probablement qui attribuent l’interdiction
jetée par Moïse sur la chair du porc aux propriétés insalubres
de cette viande dans les pays chauds, sans réfléchir que le même
motif ne saurait être allégué pour la longue liste d’aliments
défendus aux Israélites, — d’autres, dis-je, ont imaginé que le
Prophète, dans un accès de zèle digne du père Mathieu, avait
proscrit l’usage du vin à cause de la douleur profonde qui remplissait
son âme lorsqu’il était témoin des querelles et des
violences dont étaient souvent suivis les excès de ses compatriotes.
Je ferai observer à ces profonds penseurs qu’avant l’ère
de l’islanisme, les Arahes étaient sans doute comme les- autres
hommes, capables de s’écarter parfois des règles de la tempérance,
mais ils ne ressemblaient nullement aux Irlandais, et les
yeux du Prophète de la Mecque avaient moins qu’on ne le pense,
sujet d’être contristés. Je sais que d’anciens poètes arabes; ont
chanté la liqueur vermeille avec un enthousiasme digne d’Bo-
race ou d’Anacréom; leur témoignage toutefois me semble avoir
peu de valeur, les poètes, — le Goran le remarque avec raison,
— « disent ce qu’ils ne font pas. » Des auteurs musulmans ont
de nos jours- exprimé sur les motifs qui ont poussé Mahomet à
défendre la vin urne opinion semblable à celle que je combats
aujourd’hui; de bonne foi, on ne saurait me les opposer; leur
ignorance profonde de l’histoire-, leur manque complet de jugement,
ôtent toute valeur à leurs assertions. L’ivrognerie n’a jamais
été le vice des Arabes; elle, ne l’était pas au temps de Mahomet,
elle ne l’est pas aujourd’hui parmi les populations qui
sont demeurées rebelles à l’islanisme*
Quelle a donc été la cause déterminante de cette étrange proscription?
Étrange et peu sage, ajouterais-je, si elle n’était
fondée sur des raisons plus solides que celles qui viennent d’être
exposées. Mais en approfondissant sérieusement la question, on
reste convaincu que l’antipathie profonde du Prophète contre le
christianisme, le désir de tracer une ligne de démarcation entre
ses disciples et ceux de Jésus, ont été les véritables motifs qui
ont inspiré sa conduite.
Le vin, en effet, a été non-seulement toléré par le Christ,
mais encore revêtu du caractère religieux le plus élevé; une
grande partie du monde chrétien y voit l’élément d’un ineffable
mystère. De cet usage mystique découle sa valeur sociale.
Toutes les nations q u i, pour employer l’expression orientale,
« ont pour livre l’Évangile, » — c’est-à-dire qui sont chrétiennes
dans le sens le plus compréhensif du mot, — ont toujours tenu
le vin en grand honneur, elles en ont fait l’emblème de la civilisation,
de l’amitié, de l’union des peuples, des sociétés et des
familles. Mahomet le savait bien ; le voisinage de la Grèce, dont
il connaissait les moeurs et les coutumes, aurait suffi pour le lui
apprendre. En même temps, la rare clairvoyance dont il était
doué lui avait fait pressentir dans les chrétiens des rivaux bien
autrement dangereux pour les musulmans que les Persans et les
Juifs; des rivaux dont l’hostilité devait être dangereuse et dont
le nombre commandait la prudence. On ne pouvait les mépriser,
encore moins les persécuter impunément; dès lors il importait
de creuser un abîme entre les deux croyances. Déclarer
impure, interdire comme une abomination, une oeuvre de l’esprit
des ténèbres la liqueur sacrée des chrétiens, c’était arborer
un drapeau, créer une opposition éternellement durable, visible
à la fois dans la mosquée, cet antipode du sanctuaire, et dans le
harem, cette négation du foyer domestique.
Des preuves non moins évidentes, tirées du Coran et de la
tradition contemporaine montrent que telle était la constante
préoccupation de Mahomet. On ne saurait expliquer autrement
son horreur profonde pour les sculptures et les images, décorations
si essentiellement liées au christianisme oriental, comme le
'témoignent les églises grecques et arméniennes. Le Prophète les
proscrivit avec une impitoyable rigueur et s’efforça d’inspirer
aux musulmans une sainte aversion pour ces ornements pro