
Un oncle maternel de Thoweyni, nommé Hasan, administre
Mascate en qualité de gouverneur. Je le rencontrai un jour dans
la rue; c’était un homme grand, maigre, à l’air vénérable, dont
l’âge avait légèrement courbé la haute taille; il portait une
longue barbe grise et des vêtements blancs fort simples ; les
riches ornements de sa dague à poignée d’or annonçaient seuls
sa dignité. Il allait à pied dans la ville, suivi d’un petit nombre
de serviteurs, mais les habitants se rangeaient sur son passage
et le saluaient avec un profond respect, car il exerçait sur les
biadites une certaine autorité religieuse. Thoweyni vient à Mascate
quand ses affaires ou sa fantaisie l’y appellent ; -le plus
souvent il réside à Sib, à Barka ou à Nezwah. Le consul anglais
envoyé ici a , dit-on, pour occupation principale d’empêcher
la traite des nègres ; malheureusement les efforts philanthropiques
de la Grande-Bretagne ont obtenu jusqu’ici peu
de succès; le marché a toutefois été transféré de Mascate à Ma-
trah, courtoise déférence qui n’entrave nullement le trafic des
esclaves.
En dehors de la ville, près de la porte méridionale, se tient
chaque jour une foire où les produits manufacturés de l’Oman
et de la Perse se mêlent à ceux de l’Inde. Un soir que je parcourais
les boutiques ambulantes afin de me procurer une dague,—
celle qui ornait ma ceinture se trouvant en très-mauvais état,—
j’aperçus trois de nos anciens compagnons d’infortune, le capitaine
et deux matelots; ils étaient bien vêtus et paraissaient
fort contents, car ils avaient reçu de Thoweyni une somme assez
ronde pour que leur désastre devînt presque une bonne fortune
; aussi se proposaient-ils de retourner à Sowéyk et de courir
de nouveau les hasards de la mer.
Après être demeuré une semaine à Mascate, je me consultai
avec Yousef pour savoir quel parti nous devions prendre. Mon
compagnon n’avait qu’une seule pensée : rejoindre au plus
vite son patron Abou-Eysa. Les voyages n’avaient désormais
pour lui aucun charme, et les terreurs du naufrage, les souffrances
des jours suivants, l’avaient vieilli de dix années. Je
commençais aussi à penser que, pour cette fois du moins, je
pouvais borner là mes explorations ; le retour de Mascate à
Bagdad, et de cette ville en Syrie, suffisait amplement à satisfaire
mon humeur aventureuse. De plus, un malaise indéfinissable,
- dont plus tard je connus trop bien la cause, — m’ôtait
toute envie de m’exposer à de nouvelles fatigues. Renonçant
donc à visiter Bahilah, je laissai Yousef se mettre en quête d’un
vaisseau prêt à partir pour Abou-Shahr. Mais le vent soufflait du
nord avec violence, et semblait ne devoir changer de direction
qu’après la nouvelle lune, c’est-à-dire le 21 ou le 22 mars.
Nous n’avions jusque-là autre chose à faire que de dévorer
notre impatience, et je sentis peser sur moi l’ennui mortel qui
règne dans Mascate. Cette ville, au physique et au moral, est une
véritable prison. Bornée d’un côté par la mer, de l’autre par de
sombres rochers, renfermant une population composée-d’un
trop grand nombre d’éléments hétérogènes pour conserver un
caractère propre, elle offre peu de ressources aux étrangers que
des affaires n’appellent pas dans ses murs. Pour tuer le temps,
je faisais chaque jour une excursion d’une heure ou deux aux
environs; mais la disposition maladive où je me trouvais diminuant
ma curiosité d’explorateur, je me bornais à visiter les
faubourgs de la ville et les hameaux voisins, quand une circonstance
imprévue me fournit l’occasion de m’avancer davantage
dans l’intérieur du pays.
Le 20 mars, j ’étais sorti de bonne heure, et, après avoir
franchi la porte méridionale, je longeais lentement les jardins
et les puits de la route, lorsque j ’aperçus trois hommes que
leur courte tunique, leur ceinture de cuir, le petit bouclier suspendu
derrière leur dos, auraient pu faire prendre pour des
Highlanders, si un turban blanc n’avait pas couvert leur tête et
de longues boucles noires encadré leur visage. Deux d’entre
eux portaient une dague incrustée de filigranes d’argent; celle
du troisième avait une poignée formée d’un sabot de girafe richement
orné d’or.
Ce dernier, me regardant d’un air franc et amical, me demanda
gaiement d’où je venais et où j ’allais. Je lui répondis que
je venais de Mascate, et que je me promenais sans avoir de but
déterminé. La conversation s’engagea; les inconnus m’apprirent
qu’ils étaient au service d’un chef Yaribah résidant à Zaki,
bourgade située dans les gorges du Djebel Akhdar, et qu’après
avoir rempli une mission dont les avait chargés leur maître, iis
retournaient auprès de lui. Le propriétaire de la dague à poignée
d’or se nommait Zoham; il me proposa de l’accompagner
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