
pions wahabites, le guide parût lié trop étroitement avec des
étrangers qui avaient encouru la disgrâce d’Abdallah. En sa
qualité de chef de caravane, Abou-Eysa était obligé de se rendre
à Menamah, capitale des îles Bahraïn, pour y régler plusieurs
affaires relatives au transport des pèlerins persans ; de là , il
s embarquerait pour la ville d’Abou-Shahr, rendez-vous ordinaire
des musulmans iraniens qui visitent les saints Lieux.
Quand on prend la route du Nedjed, le voyage de La Mecque, y
compris la traversée du Golfe, dure ordinairement deux mois,;
les pèlerins devaient donc partir d’Abou-Shahr à la fin de la
première semaine de Showal (le mois qui suit le Ramadhan).
Barakat et moi, nous nous occupâmes aussitôt des préparatifs
du départ; nous achetâmes plusieurs objets, curieux
échantillons de l’industrie locale, fîmes nos visites d’adieu, et
même nous allâmes offrir nos respects au gouverneur noir qui,
assis à la porte de son palais, ne nous parut, malgré la richesse
de son costume et la solennité de l ’audience publique, qu’un
nègre fort ordinaire. Nous n’avions pas besoin de passe-port pour"
visiter le Katif, ce district ayant été réuni à l ’Hasa par le gouvernement
wahabite ; la route est parfaitement sûre, cependant
nous désirions avoir des compagnons capables, non pas de nous
défendre, mais de nous servir de guides. Abou-Eysa finit par
découvrir trois voyageurs qui se disposaient à partir pour le
Katif; 1 un d eux était un Benou-Hadjar et appartenait à cette
classe de Bédouins qu’on appelle en Syrie « Àrab-ed-Dirah, »
(Bédouinsdes terres cultivées); le second était un Adjman,’le
troisième, un habitant d’Hofhouf. Notre hôtesse abyssinienne
eut soin de nous munir d’abondantes provisions, nous nous
procurâmes des chameaux, et ainsi équipés, nous dîmes adieu à
la femme d’Abou-Eysa, excellente créature dont nous emportions
le plus affectueux souvenir ; après avoir embrassé son petit
enfant et serré la main du guide, nous sortîmes d’Hofhouf le
19. décembre. Aucune ville arabe ne nous avait plus cordialement
accueillis; il n’en est pas où, si les circonstances le permettaient,
j ’eusse un plus vif désir de retourner, certain d’y
trouver des coeurs sympathiques.
Nos amis nous avaient accompagnés jusqu’à la porte nord-est;
là, ils nous quittèrent en nous souhaitant un heureux voyage.
Le chemin que nous suivions, tantôt nous conduisait au milieu
des plantureux bosquets de dattiers, tantôt, formant des ponts
étroits, traversait les canaux d’irrigation. Yers le soir, nous
longeâmes un vaste marais couvert de roseaux, où nos chameaux
pouvaient à peine tenir pied, tant le sentier se resserrait entre
les bouquets d’arbres et le terrain vaseux. Enfin, nous arrivâmes
à une petite plaine de sable qui sépare le territoire d’Hofhouf
de celui de Keiabyah, gros village situé à sept milles de la
capitale. Nous fîmes halte sur une colline, ayant à notre droite
la bourgade, à notre gauche les bois d’Hofhouf, et devant nous
une fontaine dont le calme de la nuit nous permettait d’entendre
le murmure. Le ciel était chargé d’étoiles, l’air doux et
calme n’avait ni les froides brises du Nedjed, ni la chaleur suffocante
de l’Inde méridionale. Soheyl ou Canopus se couchait
lentement à l’horizon; et j’apercevais tout auprès trois des
étoiles de la Croix; deux mois plus tard ,j’admirais dans l’Oman
la constellation entière.
Nous venions de tomber dans un demi sommeil quand nous
fûmes réveillés par le trot de plüsieurs chameaux. Leurs maîtres,
qui arrivaient du Katif, mirent pied à terre afin de causer
quelques instants avêc nous, car un Arabe n’en laisse jamais
passer un autre sans lui demander les nouvelles. Ils nous apprirent
un incident qui prouve combien le gouvernement wahabite
est peu en harmonie avec le caractère arabe. Un habitant du
Katif ayant découvert qu’un jeune homme de la même province
avait séduit sa soeur, venait, selon l’antique usage de la Péninsule,
de laver dans le sang des deux coupables l’injure faite à sa
famille. Mais les Wahabites, suivant en cela les prescriptions du
Coran, montrent une grande indulgence pour les fautes des personnes
non mariées ; Feysul donna donc l’ordre d’amener à Riad
le Katifite trop jaloux de son honneur, afin de lui demander
compte du double meurtre qu’il avait commis. L’exécution du
mandat fut confiée à Belal, gouverneur de la province, qui se
déchargea de ce désagréable devoir sur Farhat, sous-gouverneur
du Katif. Celui-ci envoya des agents pour s’emparer du coupable,
mais tout le village s’était ligué pour cacher l’homicide et faciliter
son évasion. Enfin, après plusieurs semaines de recherches,
il fut découvert dans la maison d’un paysan, fait prisonnier et
envoyé à Hofhouf. Cette mesure souleva une grande indignation
dans la province, ou l’opinion publique excusait le frère et accu