
Nedjed accompagne toujours l’offre d’une tasse de café. De
même, on répond simplement à celui qui frappe à la porte :
hod, mot qui signifie entrez, mais dont j ’ignore complètement
l’étymologie.
Cependant, comme le gouverneur actuel, Khalid-ebn-Sakar,
professe la foi orthodoxe, une mosquée wahabite a été bâtie
près de la place du Marché. Je rendrai à cet édifice le témoignage
qu’il est merveilleusement approprié aux méditations
religieuses, personne ne venant jamais en troubler la
tranquille solitude. J’y entrai plus d’une fois à l’heure des
prières, et je dus m’enfuir bien vite de crainte d’être obligé de
jouer le double rôle du prêtre et des fidèles. L’abandon du
temple s’explique aisément : Khalid et la tribu des Djowasimah
sont exécrés par toute la population omanite, c’est-à-dire les
neuf dixièmes au moins de la ville, dont les habitants ont depuis
longtemps déjà renoncé à l’islamisme.
Shardjah est pour la côte occidentale de l’Oman ce que
Lindja est devenue depuis quelques années pour la côte orientale,
le centre d’un vaste commerce d’importation et d’exportation,
le point où convergent les différentes routes de terre
et de mer. Depuis Bedaa jusqu’au cap Mesandum, et même
jusqu’à Dobey, il n’existe aucun autre port de quelque importance.
Ici arrivent les produits manufacturés dans l’intérieur
de l’Oman; ici se vendent les ânes et les dromadaires;
ici enfin se tient le principal marché d’esclaves du golfe Per-
sique ; en outre, c'est par l’intermédiaire de Shardjah que les
pays voisins reçoivent les marchandises de la Perse et de l’Inde.
Aussi la villé a-t-elle un air de richesse et d’activité que l’on
chercherait vainement dans les ports méridionaux de l’Arabie,
et les étrangers y sont en assez grand nombre pour former à
eux seuls la population d’une cité. Avec un port mieux entretenu
et un, gouverneur autre que Khalid, Shardjah prendrait
un développement considérable ; dans les circonstances présentes,
elle tend au contraire à décliner.
Les habitants sont hospitaliers, honnêtes et industrieux. La
dague qui, dans 1 Oman, orne la céinture de tout homme libre,
sert de parure plutôt que de défense. Je vis à Shardjah pour la
première fois les délicats filigranes d’or et d’argent qui décorent
les armes, les coupes, les pipes, et autres objets ; ils attestent
un goût et une habileté à laquelle atteignent rarement les
ouvriers des autres pays. Cette branche de commerce fait vivre
dans les grandes villes d’innombrables familles. L’or qui fournit
la matière première du filigrane arrive par les Indes ; j ’ai entendu
dire que des gisements aurifères existent dans l’intérieur
de l’Oman, au delà de Bahilah, mais personne n’a pu, ou peut-
être n’a voulu, me donner sur ce sujet des renseignements précis.
Dans l’intérieur du pays, plusieurs mines de cuivre sont
régulièrement exploitées ; on trouve du plomb aux environs
du Ras-el-Had, et j ’ai constaté moi-même dans différentes localités
la présence du fer ; quant aux autres métaux, ils manquent
absolument. Les mines de sel sont fort abondantes et donnent
lieu à un commerce d’exportation considérable ; enfin, la mer
apporte de l’ambre en telle quantité, que cette substance forme,
avec les perles et le sel, la principale source des revenus de
l’Etat et le seul monopole que s’arroge le sultan.
Mais revenons à Shardjah dont nous nous sommes trop
écartés. Les heures s’écoulaient pour nous en visites, en dîners
et en soupers, car les habitants paraissaient désireux de
justifier les qualités sociables que je leur avais souvent entendu
attribuer ailleurs. L’étranger trouve ici une variété de mets
beaucoup plus grande que dans l’Arabie proprement dite : le
poisson, la viande, les prunes, les oeufs, le vermicelle, le riz,
des sucreries de toutes sortes, du miel, du beurre, des dattes,
de bon pain fermenté lui sont servis, non pas empilés dans un
plat monstrueux à la mode nedj éenne, mais placés chacun sur une
assiette ; en même temps on l’accable d’instances qui, en Europe,
paraîtraient peut-être excessives, même à un homme affamé.
A Shardjah et dans tout l’Oman, les invitations spéciales ne
sont pas de mode ; la salle à manger est toujours ouverte, et
l’on pourrait inscrire au-dessus de la porte ces mots de Goethe :
« Viel Gaste wünsche ’ich heute; » le plus léger prétexte, une
rencontre, une information sur le chemin à suivre suffisent
pour introduire à table un nouveau convive, en l’honneur duquel
on déploie une hospitalité proportionnée à l’heure du jour.
Yoilà du moins comment se passent les choses chez les Omanites;
quant aux Djowasimah, mes relations avec eux étaient très-superficielles
; je me bornais à saluer Khalid-ebn-Sakar lorsqu’il
se tenait assis le matin à la porte de son château pour tenir ses