
s’est attiré une haine profonde, les Wahabites en ont provoqué
plus encore. Cependant, comme les indigènes de Bahraïn sont
doux et pacifiques, leur désaffection ne se traduit que par des
plaintes ou par l’exil volontaire; les révolutions populaires selon
la mode européenne sont, par malheur peut-être, inconciliables
avec le caractère asiatique. De toutes les citations que l’on
pourrait appliquer à l’Orient, la plus fausse serait le distique
bien connu :
How small, of ail that human hearts endure
That part which laws or kings can cause or cure *!
Le poëte pensait peut-être à l’Angleterre quand il écrivait ces
lignes épigrammatiques, qui ne sont pas vraies de tous points,
même dans le monde occidental. Mais en laissant l’Europe de
côté, le lecteur peut juger si rois et gouvernements ont, en
Orient, le pouvoir de blesser et de guérir.
On parle beaucoup à Menamah, non moins que dans l’Hasa,
de ce que nos diplomates appelleraient « une annexion » à
quelque gouvernement plus libéral. Cependant, ni Téhéran, ni
Constantinople n’offrent les conditions désirables; et, quant à
l’Oman, il n’a pas en ce moment assez de puissance ; peut-être....
mais je ne veux pas hasarder des conjectures imprudentes. Je
me contenterai de présenter une courte observation. Quel que
soit le futur maître de l’Orient, il fera bien de prendre pour règle
de conduite une tolérance absolue envers ses sujets shiites, sunnites
ou païens, de ne se laisser influencer ni par sa religion particulière,
ni par ses usages et ses préjugés nationaux, mots qui,
en Asie du moins, ont une signification à peu près identique. Je
ne veux pas dire par là qu’un gouvernement étranger soit tenu
d’honorer de sa présence les processions de Jagernaut, ou, qu’à
l’imitation de ce qui se passe en Algérie, il doive employer les
revenus de l’État à bâtir des mosquées, et commencer toutes ses
proclamations par des formules musulmanes. La tolérance consiste
simplement à ne pas intervenir dans les matières philosophiques
et religieuses, car elles ne sont pas du ressort des gouvernements.
La liberté aidera plus au développement moral d’un
1. Combien sont légers, comparés au poids de douleurs qui accable le coeur
humain,
Les maux que les institutions et les rois peuvent causer ou guérir !
peuple que la sollicitude inquiète de l’État. De même que la vertu,
la vérité * n’a pas besoin d’un éclat étranger, elle brille de sa propre
lumière1, » tandis que, pour emprunter les remarquables
paroles de lordMacaulay, « si le mensonge est sans force contre la
vérité seule, il devient pour elle un adversaire redoutable quand
elle s’appuie sur le pouvoir. »La tolérance exerce une action
salutaire, non-seulement elle assure l’ordre, la tranquillité, le
bien-être social, mais elle contribue au progrès intellectuel et
religieux. Les gouvernants, oublieux de leurs véritables devoirs,
et qui cherchent à imposer ce qu’ils devraient seulement encourager,
n’atteindront pas le but de leurs imprudents efforts.
Il n’est pas plus facile de contraindre les esprits à recevoir la
vérité, que de les retenir dans l’ignorance et l’erreur ; l’histoire
des colonies européennes dans l’ancien et le nouveau monde le
prouve d’une manière surabondante. Sans doute il faut une
grande habileté pour naviguer entre ces deux écueils, Gharybde
et Scylla des hommes d’État modernes, mais celui qui jette son
navire sur les rochers ou qui le conduit trop près du gouffre, se
montre mauvais pilote et l’on a lieu de lui reprocher le naufrage
causé par sa faute.
Pendant les douze jours que nous attendîmes l’arrivée d’Abou-
Eysa, nous passâmes de longues heures dans les différents cafés
de la ville, surtout dans celui dont le maître s’était montré si
bienveillant envers nous. Là nous rencontrions des Persans,
venus pour prendre leur café du matin, des capitaines de marine
omanites, hindous, beloutchis; nous nous entretenions avec
eux tandis qu’ils fumaient une once au moins de tabac dans leurs
narghilés au tube de roseau, et le temps nous paraissait
moins long qu’il ne l’est ordinairement sur une terre étrangère.
D’après la position des îles Bahraïn, le lecteur doit penser que
la profonde ignorance du Nedjed fait place ici à certaines notions
géographiques, bien restreintes il est vrai. Les noms des«Ingliz »
et des « Fransiz » sont familiers aux habitants de Menamah; les
Allemands et les Italiens, dont les vaisseaux n’ont jamais visité
ces côtes, ne figurent pas encore dans le vocabulaire indigène;
quant aux Portugais et aux Hollandais, tout souvenir en paraît
effacé. Il n’en est pas de même des Russes ou « Moscop, » leurs
1. Dryden.