
teur à écouter encore avec patience quelques réflexions au sujet
de l’interdit lancé par le Prophète sur le jus de la grappe vermeille.
Pour agir ainsi, Mahomet avait un double motif, et le
second, moins apparent peut-être que le premier, était tout aussi
sérieux. Il importait en effet que les musulmans demeurassent
unis dans le temple et sur le champ de bataille, il fallait identifier
la guerre et la religion, éloigner toute allianee, tout commerce
propres à diminuer l’énergique concentration des forces
de l’islamisme ; c’était là un projet digne de tenter l’audacieux
génie du Prophète de La Mecque, et les moyens employés pour
en assurer le succès caractérisent à la fois l’homme et le système.
Il réunit les vrais croyants cinq fois le jour pour les
prières obligatoires, j’allais presque dire officielles; il donna
aux cérémonies religieuses une apparence militaire qui frappe
l’observateur le moins attentif. Quand on entre dans une mosquée,
ou, qu’à ciel découvert, on voit un groupe de mahométans
assemblés pour accomplir les rites de leur culte, on se demande
si l’on a devant les yeux une escouade commandée par un sergent
instructeur, ou des fidèles attentifs à la voix d’un iman.
L’administration civile et judiciaire, l’armée, le gouvernement
ne sont pas, comme en Europe, distincts de la religion, qui se-
borne à les animer de son esprit, ils se confondent avec elle,
forment les parties constitutives d’un unique système, se lient
aux croyances par une union aussi intime que celle de la face-
et du revers d’une médaille. Enfin Mahomet présenta le Gha-
zow, c’est-à-dire la guerre contre les infidèles comme le premier
devoir de ses sectateurs, la condition essentielle de leur
existence nationale.
'C’était beaucoup déjà ; il fallait plus encore, et la prudence or
donnait d’assurer, par des mesures restrictives, raccomplisse-
ment des préceptes formels. Tout ce qui était capable de distraire
la pensée des croyants, d’amoindrir leur énergie en la-
répandant sur d’autres sphères d’action, fut soigneusement évité,
sévèrement défendu. Le commerce devint un vil métier, indigne
d’un vrai musulman, et peu s’en fallut que l’agriculture elle-
même ne fût proscrite par le fils d’Abdailah. » Les anges ne
visitent pas une maison qui renferme une charrue », disait le
Prophète de la Mecque à sa favorite Eyshah, et ces paroles n’ont
pas besoin de commentaires. Mais il restait encore la vie sociale,
qui se produit sous la forme, tantôt de plaisirs extérieurs que
nous désignons par le terme assez impropre de divertissements,
tantôt de joies intimes chères à tout coeur chrétien, et principalement
aux Anglo-Saxons, la vie de famille, le home en un mot.
Ces deux manifestations furent sacrifiées au Moloch de l’existence
militaire et fanatique.
Mahomet savait que les hommes ne se réunissent pas dans un
but de plaisir s’ils ne sont attirés par un amusement, qui est à
la fois le lien et le symbole de leur réunion. Il le savait, et il
frappa d’anathème tout ce qui pouvait devenir un lien et un
symbole. Les jeux de hasard, la déclamation, les représentations
scéniques, la musique, les entretiens même dont le nom
de Dieu ne formerait pas le sujet principal, furent tous désapprouvés,
flétris ou même interdits complètement. Des témoins
contemporains du Prophète nous en fournissent la preuve irrécusable.
Mais parmi les moyens qu’a inventés l’esprit de l’homme,
ou que la bonté de Dieu nous a donnés, pour nous consoler
des tristesses de la vie, nous unir dans l’amitié, l’intimité, la
joie, il n’en est pas d’aussi puissant que le jus du raisin, l’âme
du commerce social, l’aiguillon de la bienveillance, de la civilisation,
de la confraternité amicale et expansive. Le chamelier
de l’Hedjaz crut devoir par cela même l’anathématiser d’une
manière plus rigoureuse. Il n’y aurait peut être pas d’exagération
à prétendre que si Mahomet avait eu le dessein arrêté de
rendre ses sectateurs irrémédiablement incapables de progrès,
de sociabilité, de tolérance, de leur mériter ainsi l’admiration
du despotisme et d’en faire l’opprobre non-seulement du monde
chrétien, mais même du monde païen, il ne pouvait prendre un
moyen plus efficace que d’interdire aux vrais croyants l’usage
du vin.
Si les limites de cettq relation me permettaient de citer les
annales de l’histoire arabe et les poésies antérieures à l’islamisme,
mes lecteurs seraient plus en état de juger du degré de
civilisation auquel était déjà parvenue la famille arabe, et de
l’influence exercée par les joyeuses réunions et les fêtes sur le
perfectionnement social. Je serais heureux de reproduire des
extraits d odes anacréontiques ; mais pour traiter ce sujet avec
les développements qu’il exige, il faudrait une étude spéciale.
En outre, les femmes et les enfants, étant, selon Mahomet,