
rie des ménagères arabes, qui obligerait à renouveler trop souvent
les vases de terre ou.de faïence»
Mes compagnons avaient à Besheyr un ami chez lequel ils me
conduisirent. Notre hôte se-nommait Okeyl-el-Djafari ; son habitation,
située près des murs du village, donnait sur un jardin
où des nattes et des tapis avaient été étendus le long d’un petit
canal, à l’ombre de quelques jujubiers. Nous passâmes assez
agréablement les chaudes heures de l’après-midi ; un jeune
frère de l’amphitryon et quelques parents vinrent se joindre à
nous. On servit, en attendant le souper, des abricots, des concombres,
des nabaks et des sucreries de Nezwah. Si ma santé
avait été meilleure, j ’aurais eu grand plaisir à me trouver au
milieu de cette famille. Mais j ’étais fatigué et plus disposé au
sommeil qu’à la causerie ; aussi, après avoir fumé deux énormes
narghilés d’argile, acceptai-je avec empressement l'offre d’O-
keyl, qui fit disposer pour moi un tapis et des coussins sur lesquels
je m’étendis pour sommeiller jusqu'au coucher du soleil,
tandis que nos amis se rendaient dans un endroit éloigné du
jardin afin de ne pas troubler mon repos.
Plus tard, un des fils de notre hôte vint m’éveiller pour
le souper. Les plats étaient variés; le vermicelle y abondait,
sans parler d’une préparation bien connue en Syrie soùs
le nom de kishk, sorte de blanc-manger assaisonné d’eau de
rose que les Orientaux apprécient fort. L’aiguière qui servit à
nous laveries mains était, ainsi que d’autres vases de cuivre,
d’un modèle fort élégant. Aucun bismillah ne précéda le dîner,
aucune prière ne fut récitée avant ou après; tous les assistants
étaient biadites, et je dois ajouter que le village ne renferme ni
mesdjid ni musalla. Dans la soirée, mes compagnons deZaki annoncèrent
l’intention de se rendre auprès du gouverneur de
Besheyr, et le reste de la compagnie se joignit à eux. Nous allâmes
donc tous à la demeure de Son Excellence, maison qui,
sauf l’étendue, n’avait rien d’une habitation princière. Lï, dans
un khawah capable de recevoir une soixantaine de personnes,
était assis le chef omanite, vêtu d’une robe en tissu de coton
rouge et d’un léger manteau de fabrication indigène; sa tête
était ornée d’un turban du Bengale et sa ceinture d’une dague
à poignée d’or. Près de lui se trouvaient les principaux habitante
de Besheyr et un grand nombre de nègres, dont les uns
faisaient l’office de serviteurs, tandis que les autres étaient reçus
en qualité d’hôtes. Le chef nous accueillit avec la politesse empreinte
de dignité qui convenait à la circonstance; il se montra
surtout fort attentif envers mes amis de Zaki, sans doute par
égard pour leur maître. Bien que je fusse dépourvu de médicaments,
de lancette et de diplôme, mon titre de docteur me valut
un siège à côté du grand homme, dont je tâtai gravement le
pouls, lui indiquant le régime à suivre pour combattre une maladie
* bilieuse, ? disait-il, mais qui, en réalité, n’était autre
chose qu’un rhumatisme chronique. Au lieu de café, on nous
offrit une décoction épicée de cinnamome, et l’entretien s’engagea
bientôt avec l’aisance qui caractérise la bonne société orientale,
aisance aussi éloignée du verbiage et de l’animation
bruyante de certains pays, que du mutisme de quelques autres.
Suivant moi, les Orientaux l’emportent sur les Européens dans
l’art de la conversation ; peut-être sentent-ils la nécessité de la
cultiver avec plus de soin, puisque, n’ayant ni journaux ni revues,
ils ne possèdent pas d’autre moyen de s’instruire des nouvelles
et de communiquer entre eux. Le chef de Besheyr relève
officiellement de Mascate, qui est la capitale de la province,
mais en réalité, ce gouverneur ne reconnaît d’autre autorité que
la sienne propre : quand je fus lémoin de la liberté avec laquelle
il s’exprimait sur la personne du sultan et discutait ses
ordonnances, quand je vis.combien est rare l’intervention du
gouvernement central, il me sembla être au temps * où il n’y
avait pas* de roi dans Israël. » Les chefs de village n’ont pourtant
pas le droit de vie et de mort; mais, à cela près, ils exercent
un pouvoir souverain, quoique débonnaire. Ils fixent les
taxes selon leur bon plaisir, et il est rare que l’on demande à
Mascate pourquoi la somme est tantôt forte, tantôt faible. En retour,
ils sont sincèrement attachés à Thoweyni, qui compte ici
beaucoup d’adhérents prêts à combattre pour sa défense. Au résumé,
les Omanites sont un peuple doux et pacifique, gouverné
par des chefs d’humeur facile, qui obéissent à un roi non moins
indulgent. Les uns et les autres, satisfaite de leur condition en
ce monde, se préoccupent fort peu de l’autre.
La nuit était venue;unlarge candélabre à cinq branches fut allumé
au milieu du khawah, et les invités, à ma grande satisfaction,
commencèrent une de ces danses dont j ’avais entendu