
charmante épouse qui m’était promise, la loi mahométane me
fournissait une excuse sans réplique, mais pour la faire comprendre
au lecteur il me faudrait plus d’espace que celui dont
je puis disposer. Restait l’offre de l’habitation et du revenu ; sur
ce point, Abdallah ne s’attendait pas à une aussi sérieuse résistance,
et je ne sais s’il est au monde un code de lois qui puisse
fournir un prétexte plausible pour refuser de bonnes rentes.
Aussi donna-t- il l’ordre à un de ses serviteurs de me faire voir
la maison le lendemain matin.
Elle était agréablement située, et embellie par un petit jardin
; un véritable docteur arabe aurait, pour employer l’expression
vulgaire, happé l’amorce à .l’instant même. Cependant il
s’agissait ici pour moi de la terrible question * to be or nor to be, »
et quand on ne peuttourner les difficultés, il faut les aborder de
front.
Dans l’entrevue qui suivit, je dis à Abdallah que nous étions
fort sensibles à ses offres gracieuses, mais que des engagements
antérieurs impossibles à rompre nous forçaient de nous rendre
dans la province d’Hasa ; que du reste le prince devant commander
en personne l’expédition contre Oneyzah, nous ferions mieux
d’attendre son retour avant de nous installer définitivementdans
la capitale, où nous rencontrerions peut-être en son absence de
nombreuses difficultés; bref, nous ne pouvions passer l’hiver
dans le Nedjed, mais nous espérions l’année prochaine faire à
Riad une visite nouvelle et plus longue. Le refus, malgré les
ménagements de la forme, devait déplaire; il fit naître chez
Abdallah un mécontement visible et une méfiance secrète.
La saison d’hiver commençait, nous étions dans la troisième
semaine de novembre; un orage, le premier dont nous eussions
été témoins dans l’Arabie centrale, fut suivi d’un refroidissement
notable dans la température de la Wadi Hanifah. La pluie qui
tombait à flots remplissait le lit desséché des torrents, et convertissait
en petits lacs les dépressions du sol. Aucun des courants
néanmoins ne paraissait destiné à se jeter dans la mer,
car cette partie du Nedjed est complètement fermée à l’est par
la chaîne du Toweyk. Les habitants saluaient avec joie les larges
ondées, présage d’abondance pour la récolte prochaine; à Oneyzah,
ces mêmes pluies eurent eu aussi un excellent effet, mais
d’une nature que mes lecteurs ne devineraient guère, je pense,
si je ne leur venais en aide. Les armées belligérantes, commandées
par Zamil et Mohammed-ebn-Saoud, étaient rangées en
face l’une de l’autre, et la bataille allait commencer, quand
l’orage éclata, éteignant les mèches dans les deux camps, et
empêchant les mousquets de partir. A cette nouvelle, Abou-
Eysa me dit en riant : « Lorsque vous serez de retour en Europe,
ne manquez pas de citer ce fait, il donnera une idée de la
guerre en Arabie. »
Les affaires du naïb étaient presque entièrement réglées, et
Abou Eysa avait reçu sa patente. Nous nous préparions à partir
pour les provinces de l'est; cependant nous n’avions pas encore
fixé le jour de notre départ, quand l’explosion soudaine du déplaisir
royal mit fin à notre indécision.
J’avais soigné un vieillard, ancien chef de la ville dont l’affection
nécessitait l’emploi d’un remède énergique. Pour le soulager,
j ’avais eu recours à un agent thérapeutique très-violent, la
strychnine, et le succès avait dépassé mes espérances. L’amélioration
ainsi obtenue ne pouvait pas être durable, mais les Ned-
jéens ne s’occupent que de l’effet présent et le haut rang du
malade appelait sur lui l’attention. Chacun parlait de son merveilleux
rétablissement, la nouvelle en arriva même jusqu’au
palais.
C’était le jour où Abdallah, cédantaux instances de son père,
venait de visiter Saoud ; la haine des deux frères, avivée par le
voisinage, se cachait à peine, ou pour mieux dire ne se cachait
pas, sous les formalités de l’étiquette> Les intrigues, les complots,
les projets de vengeance se tramaient sourdement derrière
les murailles silencieuses du palais, l’assassinat même n’aurait
surpris personne. Mahboub, toujours odieux à Abdallah, lui
inspirait en ce moment une aversion plus grande que jamais;
il était facile au ministre de prévoir quels périls l’attendaient
quand le pouvoir absolu serait remis entre les mains d’un prince
dont il avait tant de fois traversé les desseins. Il faisait donc
cause commune avec Saoud, et allumait ainsi dans le coeur
d’Abdallah des passions qui ne demandaient que l’occasion d’éclater.
Les nobles de la ville, les étrangers eux-mêmes, prenaient
parti pour l’un ou l’autre des deux frères, et la présence de
Feysul, bien qu’elle empêchât la lutte de se produire ouvertement,
était insuffisante à réprimer les menées secrètes.