
appréhensions avaient un peu diminué, était revenu à son palais,
et avait repris assez de courage pour accorder au naïb une
audience privée dans le khawah intérieur. Mohammed ne fut pas
très-satisfait de cette réception; il ne pouvait comprendre la
froideur avec laquelle le « Bédouin », — seul titre qu’il donnât
au monarque wahabite,—avait accueilli la longue énumération
de ses griefs. Mahboub ne montrait pas non plus beaucoup de
zèle à servir ses intérêts. Pour nous, d’accord avec Abou-Eysa,
nous avions pris la résolution de ne demander aucune entrevue
spéciale à Feysul; le vieillard étant un pur instrument entre les
mains de ses ministres et de la faction des zélateurs, notre
présence dans son divan ne devait produire aucun résultat
utile, et pouvait au contraire donner lieu à des soupçons
jaloux, à des conjectures fâcheuses.
Mais Abdallah, qui ne ressentait pas les craintes séniles dont
était agité le coeur de son père, ne nous fit pas attendre longtemps
la faveur d'une audience particulière. Nous avions déjà,
on le sait, pris connaissance de la lettre adressée par Obeyd à ce
prince, et notre désir de nous lier intimement avec lui ne s’en
était nullement accru. En outre, ce que la renommée nous
avait appris du caractère personnel et des dispositions de l’héritier
présomptif n’était pas de nature à nous attirer vers lui.
Abdallah, en sa qualité de gouverneur, donnait des audiences
publiques deux fois par jour; il était même assez accessible
dans l'intérieur de son palais, mais nous évitions soigneusement
de nous mêler à la foule qui assiégeait sa demeure, nous estimant
fort satisfaits d’apercevoir de loin le prince, sans attirer
son attention.
En dépit de cette réserve, nous reçûmes quelques jours après
notre arrivée un message par lequel Abdallah nous invitait a
paraître devant lui. Le porteur de la missive, nommé Abdallah
comme son maître, était un vrai Nedjéen,un sectaire sombre et
hypocrite. Ses membres grêles, son visage jaune, son front
plissé, son regard astucieux, ne lui donnaient nullement la
mine d’un agréable compagnon. Il nous informa que son oncle,
— titre poli par lequel il désignait Abdallah, — se trouvait fort
souffrant et désirait au plus tôt consulter un docteur; qu’en
conséquence, nous devions aller le visiter sans retard.
Revêtus de nos meilleurs habits, nous nous rendîmes à l’invitation
du prince. Nous traversâmes deux cours, puis un vestibule
qui conduisait dans le khawah privé. Le château en renferme
un autre, destiné à recevoir les étrangers : il est situé dans la
seconde cour et grand deux fois ‘comme la chambre des hôtes du
palais de Feysul. Celui de l’appartement particulier ne peut guère
contenir qu’une vingtaine de visiteurs : il est richement meublé,
mais trop sombre. La matinée s’avançait et la chaleur devenait
accablante; Abdallah, entouré de trois ou quatre officiers, s’était
étendu sur un tapis dans le vestibule ; un grand nombre de
serviteurs, les uns blancs, les autres noirs, se tenaient en armes
auprès des portes : tous avaient l’air farouche, surtout les
Nedjéens.
Les traits d’Abdallah ne manqueraient pas d’une certaine
beauté, sans l’expression hautaine, presque insolente qui leur
est familière; le prince a aussi une tendance marquée à l’obésité,
défaut héréditaire dans plusieurs branches de sa famille. Je lui
trouvai quelque ressemblance avec les portraits d’Henri VIII, et
les caractères des deux princes n’offrent pas moins d’analogie.
Il nous reçut avec une politesse un peu rude qu’il s’efforça de
rendre encourage mte ; toutefois je reconnus vite que la maladie
dont il parlait n’était qu’un prétexte pour satisfaire sa curiosité.
On pense bien que je passai sous silence nos relations
avec Obeyd et la lettre qu’il m’avait remise. Abdallah nous interrogea
longuement sur le Djebel-Shomer, car il savait que
nous avions visité Hayel, exprima une haine violente contre
Telal, se railla des défenseurs d’Oneyzah et maudit Zamil. Puis
vint une série de questions médicales sur les divers tempéraments,
bilieux, sanguin, nerveux, lymphatique. Il se montra
fort desireux de connaître le sien, et je m’élevai considérablement
dans son opinion en lui assurant que c’était une heureuse
combinaison des quatre. 11 nous adressa des protestations réitérées
de bienveillance qui, pour le moment, pouvaient être sincères,
car ses soupçons n’étaient pas encore éveillés. Enfin il
nous demanda, ou pour parler plus exactement, nous ordonna
de venir au palais le matin suivant. Nous devions apporter avec
nous nos livres, le prince ayant un grand désir d’apprendre
l’art de guérir. * Voilà, pensai-je, un disciple qui promet, » et
sans doute le lecteur sera de mon avis.
Il était cependant sérieux dans ses intentions. Quand, le