
cules fanfaronnades, et jamais je n’ai entendu parler avec plus
de mépris du gouvernement wahabite.
Les hommes sont prêts, mais le temps n’est pas venu. En
dépit de ses griefs, le parti de la résistance, retenu par la juste
crainte que lui inspire la puissance du Nedjed concentrée dans
les mains du terrible et victorieux Abdallah-ebn-Saoud, attend
silencieusement l’heure où une rébellion au dedans, une
nouvelle attaque au dehors, attireront l’attention du tyran et
affaibliront la force de son bras. Les Arabes sont par-dessus tout
une race prudente, qui n’entreprend rien sans avoir quelque
certitude du succès. De plus, les espions de Feysul, répandus
dans l’Arabie entière depuis Djowf jusqu’à Mascate, observent
les moindres symptômes de révolte et avertissent aussitôt leur
maître. Les amis de la liberté ne peuvent donc faire autre chose
que d’espérer, haïr et se soumettre.
Nous étions depuis une semaine à Hofhouf quand Abou-Eysa,
entrant dans la chambre où je copiais tranquillement avec
Barakat un morceau de poésie arabe, nous annonça d’un air
troublé que deux des principaux agents wahabites de la citadelle
venaient d’entrer dans le khawah sous prétexte de demander
une consultation médicale, mais en réalité, pour voir
de près les étrangers. Nous revêtîmes nos manteaux et nous
nous présentâmes devant les inquisiteurs avec l’attitude calme
et grave qui convient à des disciples d’Esculape. La conversation
s’engagea; nous parlâmes d’une manière si savante des
tempéraments bilieux et sanguins, des veines céphaliques, des
médicaments de l’Inde, nous citâmes si pieusement le Coran,
témoignâmes tant d’admiration pour Feysul, qu’Abou-Eysa
était transporté de joie. J’ordonnai aux espions quelques remèdes
inoffensifs, du genre de ceux qu’on administre aux
malades imaginaires, et ils prirent congé sans avoir rien appris.
Nos nombreux amis d’ailleurs, devinant qui nous étions,
autant d’après nos manières que d’après les sentiments bien
connus d’Abou-Eysa (ià tôv Suoiov Syn ôeàç I; -rov o(*oiov, a dit le vieil
Homère), s’accordaient unanimement pour détourner de nous
les soupçons des wahabites. Bénie soit la profession médicale!
Aucune autre ne fournit d’aussi excellentes occasions de se concilier
la confiance et l’attachement.
A certains jours de la semaine, des foires sont tenues dans
les différentes villes de l’Hasa ; les habitants, surtout les villageois,
s’y rendent en foule, les uns pour vendre, les autres
pour acheter; des jeux, des courses, des divertissements de
toutes sortes viennent égayer la fête. En somme, cette coutume
, très-répandue en Orient et à laquelle l’Europe elle-
même ne demeure pas étrangère, produit d’excellents effets.
L’Arabie l’avait adoptée de temps immémorial, témoin la foire
d’Okad, où les sept moallakat furent récités pour la première
fois, témoin encore ceUe de Sanaa dans l’Yémen et plusieurs
autres dont le souvenir a été conservé par les anciens chroniqueurs.
La foire d’Hofhouf se tient le jeudi, celle du grand village de
Mebarraz le lundi, et ainsi, pour chacune des autres localités.
Abou-Eysa qui,, désirant nous donner une haute opinion de sa
patrie adoptive, cherchait à nous la montrer sous le jour le
plus favorable, eut soin de diriger notre promenade vers l’endroit
où la foire avait lieu, c’est-à-dire vers une vaste plaine
située près du Kôt en dehors des remparts. Nous passâmes plusieurs
heures au milieu des tentes des marchands, causant
avec les villageois et les citadins, et charmés de l’animation
de cette scène qui me rappelait Epsom un jour de Derby, ou
Francfort pendant une Messwoche. Les vendeurs, composés en
grande partie de paysans,, avaient apporté des marchandises
remarquables par la modicité du prix plutôt que par 1 élégance.
de pesantes sandales, des manteaux grossiers, de vieux fusils,
des ustensiles de ménage qui avaient cessé d’être neufs, des
chameaux, des dromadaires, des ânes, quelques chevaux.
D’autres, colporteurs de profession, avaient étalé dans leurs
baraques ambulantes des bracelets, des anneaux pour mettre
aux jambes, des cachets de cuivre, des perles destinées à orner
le cou des jeunes filles et aussi, — j’en demande pardon à mes
lectrices, — celui des ânes et des mulets ; on y pouvait admirer
également des verres de fabrique européenne, venus par Koweyt
, ou Bassora et des miroirs dont la réflexion irrégulière devait ôter
aux belles dames arabes toute envie d’y étudier les savants sourires
et les coquettes moues qui constituent la manoeuvre ^stratégique
de leur sexe. Les tentes disposées avec symétrie, formaient
des rues et des places au milieu desqueHes étaient
amoncelés des paniers de légumes et de dattes, des sacs de