
dite. Il faut qu’elle se soit bien agrandie depuis l’époque où Nie-
buhr 1 a visitée, car le sale petit village décrit par le savant
voyageur pourrait aujourd’hui soutenir la comparaison avec les
ports de mer anglo-hindous. Les maisons sont élégantes et spacieuses,
les rues larges, le marché plus vaste et plus animé que
celui de Lindja; les habitations des marchands, des capitaines
de navire, des riches propriétaires, s’étendent autour de la baie
et se prolongent fort loin dans l’intérieur du pays, mêlées aux
cottages des matelots, des pêcheurs et des nègres. La population,
de Matrah doit dépasser actuellement vingt-cinq mille âmes. Le
port, très-sûr, mais peu profond, est borné à droite et à gauche
par de hauts rochers que couronnent des tours d’observation
; aucune route de terre ne mène directement à Mascate, cir-.
constance fort avantageuse pour les nombreux bateliers des
deux villes. Pendant qu’avec Yousef je parcourais le marché afin
de me pourvoir de quelques objets de toilette indispensables
(mon hôte de la nuit précédente avait ajouté une aumône généreuse
aux deux pièces d’or que nous avait fait remettre Tho-
weyni), je rencontrai le gouverneur de Matrah, beau jeune
homme à la physionomie noble et intelligente, qui descend des
Yeleks du Batinah, puissante tribu d’origine kahtanite.
Matrah, plus encore que Mascate, sert d’entrepôt à la manufacture
indigène, et quiconque veut se procurer un manteau,
une dague, un tapis de fabrique omanite, trouve ici un assortiment
riche et varié. Tous les lundis, les paysans des villages
voisins apportent au marché des fruits, des légumes, des patates,
des melons, des courges, des abricots, des raisins, des
peches, des mangues, selon la saison. Une large noix, longue de
deux ou trois pouces, de couleur brune et de forme triangulaire,.
est également fort recherchée des acheteurs. Les dattes tiennent
une place secondaire dans l’alimentation des Omanites; elles
sont, au reste, de qualité médiocre : aussi la province d’Hasa
approvisionne-t-elle de ses savoureux khalas les tables des riches
Omanites.
Après avoir visité la ville et terminé nos achats, nous descendîmes
vers la plage, où nous vîmes un grand nombre de canots
formés d’un simple tronc d’arbre et pourvus d’une double proue
permettant de les diriger en avant ou en arrière sans les faire
virer ; ils étaient là pour attendre les voyageurs que leurs affaires
appelaient à Mascate. Nous montâmes dans une de ces légères
embarcations en compagnie d’un Persan, de deux Banians,
armés chacun d’un chatti ou parasol de Bombay, et de
quatre ou cinq autres passagers, sans compter les deux rameurs
nègres. Je dois avouer que j ’éprouvai une vive répugnance à me
remettre en mer, même pour une aussi courte traversée; Yousef
ne semblait pas non plus charmé de cette perspective. Mais,
comme il n’y avait aucun autre moyen de nous rendre à Mascate,
il fallut nous résigner à tenter l'aventure. Quelques instants
après, nous voguions vers le cap situé à l’est de Matrah;
quand nous l’eûmes doublé, nous aperçûmes une petite baie
près de laquelle s’élève un groupe de maisons; puis, nous
tournâmes un second promontoire dont les roches de granit
s’avancent au loin dans la mer, et nous entrâmes dans le port
de Mascate. Il était rempli de navires, entre lesquels allaient et
venaient des canots chargés de marins, de passagers et de marchandises.
Quatre belles frégates attirèrent surtout mes regards;
leurs canons, leurs lisses, tout leur gréement avait quelque
chose de si européen, que je crus un moment avoir sous les
yeux des vaisseaux anglais; mais l’antique bannière rouge de
l’Yémen, devenue aujourd’hui l’étendard de Thoweyni, flottait
en haut de chaque mât et attestait que les bâtiments étaient la
propriété du gouvernement omanite. Nous débarquâmes près de
la douane; comme nous n’avions pas de bagages, nous n’eûmes
rien à démêler avec les officiers du fisc; quant aux passe-ports,
on n’en exige pas dans cette province.
Mascate, ou du moins son port, ses forteresses, ses édifiées,
ont été l’objet de descriptions nombreuses et détaillées : Nie-
buhr, Welsted et d’autres voyageurs s’y sont arrêtés plus ou
moins longtemps; en outre, des steamers anglais, dans leur traversée
de Bombay à Bassora, mouillent ici régulièrement deux
fois par mois. Je me bornerai donc à parler de la vie et du mouvement
de la ville, à rapporter quelques incidents de mon séjour,
et les particularités d’une petite excursion dans le voisinage.
Un marchand de l’Hasa, nommé Astar, depuis longtemps fixé
à Mascate, nous accueillit dans sa demeure et nous donna,
non-seulement une hospitalité généreuse, mais encore les vêtements
dont nous aidons besoin. Pendant trois jours, je me sentis
trop fatigué pour essayer de sortir; malheureusement, les