
ennemies et atteignit le pacha lui-même; au moment où le
yatagan levé du Nedjéen allait mettre fin à la guerre, un Gircas-
sien se dégagea de la mêlée, et déchargea sur l’Arabe un coup
de sabre terrible. Harith tomba sans vie de son cheval; mais ses
compagnons ne se laissant pas abattre par la mort de leur chef,
continuèrent la lutte jusqu’à ce que la nuit vint séparer les
combattants. Les rêves d’Ibrahim furent hantés longtemps,
dit-on, par le souvenir du danger personnel qu’il avait couru ce
jour-là, et il s’éveillait souvent en sursaut, criant le nom d’Ha-
rith.
A la fin, les bouches à feu que les Égyptiens avaient réussi à
dresser sur une hauteur voisine, commencèrent leur oeuvre de
destruction. Le roi rallia ses colonnes décimées et alla se retrancher
dans Dereyah; il laissait la Wadi-Hanifah ouverte à
l’ennemi, qui s’avançant avec précaution, et dispersant quelques
poignées d’hommes chargées d’arrêter sa marche, parvint enfin
devant la capitale.
L’assaut, donné immédiatement, fut repoussé par la garnison.
Ibrahim, qui aurait voulu éviter une effusion de sang inutile,
ne renouvela pas la tentative, et se contenta de cerner la ville,
tandis qu’il sommait les habitants de capituler. On ne lui fit pas
de réponse; vingt jours se passèrent ainsi sans qu’un seul coup
de fusil fût tiré de part ni d’autre, car les Wahabites, résolus
à réserver toute leur force pour la lutte décisive, ne faisaient
aucune sortie, et ne répondaient que par le silence, aux sommations
réitérées d’Ibrahim. En même temps un corps de réserve
rassemblé dans le Sedeyr s’avançait au secours de Dereyah.
Informé de son approche, le général égyptien envoya
contre lui un fort détachement qui le rencontra près de Se-
dous, et par une facile victoire dissipa le dernier espoir que
nourrissait Abdallah. Le vingt et unième jour, le pacha offrit
aux assiégés comme ultimatum, l’alternative d’une capitulation
honorable ou de l’assaut; il espérait que le dernier échec subi
par ses troupes aurait fait fléchir l’orgueil du prince nedjéen.
Mais alors même, Abdallah refusa de se soumettre, et l’envoyé
revint sans réponse. Ibrahim donna l’ordre de ranger l’artillerie
sur les hauteurs qui dominent la capitale.
Le bombardement dura depuis le coucher du soleil jusqu’à
son lever le lendemain matin. Six mille boulets et obus furent,
•dit-on, lancés pendant la nuit sur la ville vouée à la destruction.
L’aube éclaira des murailles réduites en poussière et des monceaux
de ruine, des morts et des mourants ensevelis au milieu
de leurs habitations renversées, tandis que les survivants se
livraient à un morne désespoir.
Ibrahim entra sans obstacle dans Dereyah. Son premier soin
fut de s’emparer du roi, de sa famille, des courtisans, des chefs
et des nobles réunis dans la capitale. Quelques-uns d entre eux
essayèrent d’opposer de la résistance et furent tués par les soldats;
le plus grand nombre courba la tête sous la volonté
d’Allah. Le conquérant fit également arrêter les docteurs, les
cadis, lesimans, les metowas, tous les représentants delà grande
secte wahabite. Il accorda une amnistie générale au reste de la
population ; et, sauf quelques heures de pillage, Dereyah ne
souffrit aucune violence de l’armée victorieuse. En même temps
les passages conduisant de la ville à la montagne étaient étroitement
gardés. Un petit nombre de personnes parvinrent
seules à s’échapper au milieu de la confusion générale; parmi
elles était Turki, fils' aîné d’Abdallah.
Laissant une garnison égyptienne bien disciplinée pour protéger
les habitants contre la licence de la conquête, et contre
l’emportement de leur propre fanatisme, Ibrahim se retira en
dehors des murs dans une plaine où l’on dressa sa tente, puis il
se fit amener Abdallah et toute sa famille. Sans lui adresser ni
reproches ni menaces, il dit au prince ces paroles : « Je suis le serviteur
du sultan de Constantinople, c’est lui qui doit êtreton juge
et non pas moi. En attendant tu m’accompagneras en Egypte, où
tu seras traité convenablement ; quand le sultan aura fait connaître
sa volonté, tu te soumettras à ses ordres. » Abdallah ne répondit
que par un verset du Coran. Ibrahim usa de la même douceur
envers les autres prisonniers appartenant, soit à la cour,
soit à l’armée ou à la magistrature. Aucun d’eux ne fut ni mis à
mort, ni même maltraité pendant le séjour du pacha au Nedjed.
Mais en même temps qu’il essayait d’attacher à sa cause les
hommes intelligents qui sont la force vive d’un pays, il n’était
pas moins impatient d’extirper un fanatisme incompatible avec,
la stabilité du nouveau pouvoir. Comme nation, les Nedjéens
auraient pu se ranger du côté de l’ordre, du commerce et du progrès;
mais jamais on ne devait attendre cet effort de l’esprit de