
ratifier les offres libérales faites le matin même par Abdel-
Aziz,
fin apprenant la décision qui le concernait, le Naïb entra dans
une violente colère ; il ne comprenait pas comment un Bédouin,
— n’est ainsi qu’il nommait Feysul, — pouvait traiter avec une
froideur aussi hautaine Sa Majesté le Shah de Perse dans la personne
de son envoyé. Mais les injures ne remédiant à rien, il
calma son courroux, mâcha un peu d’opium, fuma un narghilé;
après quoi, il se mit à dresser la longue liste de ses griefs et de
ses réclamations, afin de la remettre à Mahboub lors de leur
prochaine entrevue.
Quant à nous, notre position était extrêmement fâcheuse et
nous ne savions comment y remédier; nous étions résolus à ne
pas quitter Riad avant d’avoir satisfait notre curiosité au sujet
du gouvernement, de la population, des coutumes du Nedjed;
mais comment .prolonger notre séjour ? Persister dans notre dessein
de demeurer après une double injonction de partir, aurait,
été une pure folie, et aurait inévitablement amené les plus
graves conséquences; il ne fallait pas davantage songer à nous
cacher dans la ville. Abou-Eysa n’était pas moins contrarié que
nous; notre amitié qui avait pris naissance à Bereydah était
devenue, grâce à de fréquents rapports, une véritable intimité;
bien qu’il ne pût pas comprendre les motifs qui nous faisaient
désirer de prolonger notre séjour dans la capitale wahabite, il
prenait part aux ennuis que nous causait un obstacle si misérable
et pourtant si grave. Enfin, après avoir longuement ré fléchi
à notre situation, il nous proposa d’essayer d’un stratagème
avec lequel une longue expérience l’avait complètement
familiarisé. Le roi, tout circonspect qu’il était, se laisserait vraisemblablement
guider à la fin par l’avis de ses ministres- Si
nous réussissions à mettre dans nos intérêts Mahboub et Abdel-
Aziz, on pouvait compter sur une révision de l’édit royal. Abou-
Eysa connaissait depuis longtemps cette cour, en apparence si
rigide et il savait que l’incorruptibilité, n’y fait pas partie des
vertus orthodoxes. Une offre directe d’argent monnayé n’aurait
pas été bien reçue, mais deux livres d’« oud., » ou bois de senteur,
pour lequel les Arabes, et surtout les Nedjéens, ont un goût très-
vif pouvaient rendre notre modeste pétition plus acceptable. Notre
ami proposa d’acheter à ses frais l’infaillible talisman, et, n’étant
pas homme à remettre au lendemain une affaire sérieuse, il
sortit le soir même pour se procurer le parfum qu’il revint bientôt
après nous montrer d ’un air de triomphe ; puis il alla le déposer
en n o te nom chez Mahboub e t chez Abdel-Aziz- Enfin,
■vers minuit, il se présenta une troisième fois à notre porte, et
nous .dit que, selon toute apparence, nous recevrions le lendemain
de meilleures nouvelles..
Son attente ne fut pas trompée; le matin suivant, il fut
mandé dans la retraite où s ’abritait la royauté wahabite; et là
on lui déclara que, toutes choses dûment considérées, Riad
ayant impérieusement besoin d’un savant Esculape, il nous serait
permis d’exercer la médecine sous le patronage de Feysul.
Nous avions échappé au danger, mais à mesure que nous apprenions
à connaître le caractère wahabite, nous- comprenions
mieux.combien de difficultés s’élèveraient autour de nous. Un
roi soupçonneux, un conseil hostile aux étrangers, un pays semé
de pièges, tout se réunissait pour rendre notre position précaire
e t périlleuse. Nous étions sortis d’un mauvais pas, serions-nons
assez riches pour acheter toujours des protecteurs? 11 nous fallait
un conseil, un appui; nous avions besoin de nous attacher
un homme familier avec les écueils d ’urne cour hypocrite, et capable
de nous les faire éviter. D’un commun accord, nous jetâmes
les yeux sur Abou-Eysa. Nous ne nous dissimulions pas
que, lui révéler notre secret, c’était nous mettre pieds et poings
liés à .sa merci, c’était lui donner les moyens d ’obtenir en nous
trahissant, une haute influence à la cour. Son caractère loyal e t
franc nous rassura ; un tel homme était incapable d’une bassesse;
peut-être même entrerait-il dans nos vues et voudrait-il
aider à leur accomplissement.
Nous résolûmes donc, Rarakat et moi, d’accorder au guide
notre confiance entière et de lui révéler sans délai ce que nous
avions déjà fait connaître à Télal. J’aurais souhaité que mon
compagnon se chargeât de cette délicate confidence; en sa qualité
d’Arabe, il pouvait le faire sans se compromettre autant
qu un Européen; mais il n’osa prendre la responsabilité d’une
démarche aussi grave, et, faute d’auxiliaire, je me décidai à
tenter seul l ’aventure.
Le lendemain matin après le café, je pris à part Abou-Eysa ; je
lui dis qui nous étions, lui expliquai le but réel de notre voyage