
nations étrangères et des mahométans hétérodoxes. Convaincu
par de telles preuves, notre ami perdit sa défiance envers nous,
il se lança à pleines voiles sur la mer de la discussion, et son
entretien devint fort intéressant, pour un homme qui n’avait
rien plus à coeur que d’apprendre les dogmes wahabites de la
bouche d un docteur aussi considéré, d’un zélateur en personne.
L erreur dans les questions religieuses et au milieu des circonstances
où nous nous trouvions, inspire à un esprit sérieux
beaucoup plus de compassion que de colère; si la pitié ne ressemble
pas toujours à la sympathie, elle est au moins bien voisine
de la tolérance. Il ne nous fut pas difficile de donner à notre
interlocuteur certains témoignages d’intérêt, même d’assentiment
réservé, qui l’encouragèrent à nous communiquer plus
amplement sa science; de notre côté, nous pensions qu’un rapport
favorable pourrait mettre fin à l’hostilité de ses collègues,
peut-être même nous concilier leur bienveillance. Abboub en
vint à concevoir presque de l’attachement pour nous, et les-
regrets qu il éprouvait de nous voir encore dans les ténèbres
de l’erreur furent tempérés par l’espoir de faire au moins luire
en nous quelques rayons de lumière.
Vers le soir, Abou-Eysa vint à notre appartement pour voir,
comme il en avait reçu la commission, si nous étions convenablement
logés et si tout allait selon nos désirs. La résidence ne
nous plaisait que médiocrement à cause de sa proximité du palais,
ou pour mieux dire parce qu’elle en faisait partie; de plus
les pièces étaient trop grandes, ce qui ne nous permettait pas d’y
introduire le moindre confortable, à raison de l’exiguïté de notre
mobilier et de nos ressources. Nous priâmes donc Abou-Eysa de
chercher un logement plus en rapport avec la modeste profession
que nous avions adoptée. Le guide promit et tint parole.
Le lendemain matin, nous nous promenions, Barakat et moi,
sur la place du Marché, lorsque nous rencontrâmes Abdel-Aziz
qui se dirigeait vers le palais. Avec un faux sourire et des paroles
doucereuses, il nous informa que Feysul, ne considérant pas
Riad comme un champ propre au déploiement de notre talent
médical, nous conseillait de nous rendre à Hofhouf ; Abou-Eysa
partirait avec nous le jour même et le roi nous donnerait pour
le voyage des habits, de l’argent et un chameau.
Faire un pont d’or à un ennemi, afin de faciliter sa fuite est
une mesure nop moins sage au Nedjed qu’en Macédoine ; le vieux
monarque pensait ne pouvoir se mettre mieux à l’abri de nos
charmes et de nos incantations ,qu’en s’assurant notre amitié,
mais à distance respectueuse. Fort éloignés de comprendre les
véritables motifs de notre bannissement, nous nous efforçâmes
de représenter à Abdel-Aziz que notre séjour dans la capitale
serait également avantageux pour les habitants et pour nous-
mêmes, tandis qu’un aussi brusque départ éveillerait contre
nous de fâcheux soupçons et nuirait à notre renommée. Le ministre
promit de transmettre à Feysul nos observations, sans
toutefois nous laisser beaucoup d’espoir; notre insistance pour
demeurer à Riad devait en effet augmenter les craintes du roi et
lui faire souhaiter plus que jamais notre éloignement.
Le conseil privé réuni autour de Feysul dans la villa d’Abder-
Rahman, avait pris une décision à peu près semblable à l’égard
du Naïb ; on convint de le renvoyer dans le plus bref délai, de
l’endormir par de belles paroles et de légers présents, mais de ne
lui accorder ni audience particulière, ni satisfaction réelle pour
les griefs qu’il était chargé d’exposer. Le roi avait plusieurs raisons
d’en agir ainsi, mais la crainte de l’assassinat était la
pensée qui tourmentait le plus sa conscience coupable.
Cependant, la prudence arabe ne permettant de rien précipiter,
on voulut interroger Abou-Eysa. Feysul lui reprocha sévèrement
d’avoir amené aux portes de son palais une caravane
aussi suspecte. Notre guide, soutenu par le premier ministre
Mahboub dont ses présents avaient gagné la protection, s’efforça
humblement de se justifier aux yeux du vieux despote ; il réussit
même à obtenir que les plaintes des Persans seraient écoutées.
Là s’arrêta le succès de son éloquence, ni raisonnements ni
prières ne purent décider Feysul à recevoir en personne l’envoyé
shirazite ; il fut décidé que Mahboub seul verrait le Naïb et
réglerait cette affaire au nom du roi. L’auguste conseil s’occupa
ensuite de nous, et déclara d’une voix unanime qu’il fallait
purger Riad de notre présence; on proposa même de nous envoyer,
non pas dans l’Hasa, mais au pays d’où nous venions,
paroles sinistres qui, en bon français signifiaient; « nous expédier
dans l’autre monde par le plus court chemin. » Les représentations
d’Abou-Eysa adoucirent enfin le vieux monarque, qui se
contenta d’ordonner notre départ pour Hofhouf et daigna même