
regard plein de fermeté, je pris la tasse et en avalai le contenu,
après avoir prononcé le * bismillah » d’usage. Puis je dis à l’esclave
: « versez encore une fois. » Quand la coupe fut vide :
« emportez maintenant le café » ajoutai-je avec calme.
Mon sang-froid eut l’effet que j’en attendais. Abdallah se
sentit vaincu; se tournant vers Abdel-Latif, il s’entretint avec
lui des dangers auxquels les machinations perfides des infidèles
exposaient le pays. Le cadi et ses compagnons applaudirent a
ses paroles; l’histoire du faux derviche massacré sous les murs
de Dereyah, celle d’un autre voyageur, —j ’ignore lequel,— qui
reconnu pour un espion, était parvenu à s’enfuir, furent commentées
de mille manières. Mahboub prit à son tour la parole
et tourna en ridicule les craintes des zélateurs. « La chose est
invraisemblable, conclut-il, mais quand elle serait vraie, quel
mal pourrait-il en résulter? »
Me mêlant alors à la conversation, je rappelai la conduite honorable
et inoffensive que nous avions tenue à Riad; je parlai
des services rendus et me plaignis amèrement de n’obtenir en
retour que malveillance et persécution. M’appuyant enfin de
l’autorité du Coran, je citai force textes qui flétrissent les accusations
téméraires et enjoignent aux musulmans fidèles de ne
condamner personne sans une complète évidence. Abdallah
évita de répondre directement; quant à ses satellites, ils ne
pouvaient soutenir une imputation abandonnée par leur
maître.
Ce qui m’amusait le plus dans cette aventure, c’était de voir
que j’échappais au prince précisément parce qu’il avait deviné
trop bien et frappé trop juste. Au fond du coeur, il n’avait pas
changé d’opinion, mais un instant, je le maîtrisai et je m’assurai
le temps nécessaire pour la fuite.
L’entretien se prolongea quelques instants encore ; je gardai
ma place afin de mieux montrer la sécurité de l’innocence jusqu’à
ce que Mahboub me fit signe de me retirer. Je pris congé
d’Abdallah et quittai le palais sans être accompagné. Il était près
de minuit, pas une lumière ne brillait aux fenêtres, nul bruit
ne se faisait entendre dans les rues désertes, le ciel était sombre
et, pour la première fois, j ’eus la pénible conscience de mon isolement.
Je tournai la tête pour voir si aucun poignard ne se cachait
dansl’ombre, mais le péril n’était pas si proche. J ’atteignis
COUR DE RIAD, VOYAGE D’HOFHOUF. 179
sans mauvaise rencontre l’allée tranquille et la porte basse à
travers les fentes de laquelle un rayon de lumière indiquait la
veille pleine d’anxiété de mes compagnons. En me revoyant sain
et sauf après une pareille conférence, leur joie fut inexprimable.
Notre plan fut bientôt arrêté. Nous quitterions Riad seulement
dans un jour ou deux afin de ne pas encourager nos ennemis
à nous poursuivre en montrant des alarmes trop vives.
Jusque-là, nous nous abstiendrions de visites au palais, de promenades
dans les jardins et nous garderions le logis autant que
possible. De son côté Abou-Eysa se procurerait des dromadaires
qu’il amènerait dans une cour voisine de notre maison, afin de
pouvoir les charger promptement quand le moment du départ
serait arrivé.
Une caravane se préparait à quitter Riad quelques jours plus
tard pour se rendre dans la province d’Hasa. Abou-Eysa fit savoir
à qui voulait l'entendre qu’il souhaitait d’être choisi pour
guide; quant à nous, on supposait que nous devions suivre la
route du Sedeyr, celle-là même qui, après tant d’hésitations,
avait été prise par notre ami le naïb. Mobeyrik, serviteur noir
d Abou-Eysa, s occupa en diligence de procurer aux chameaux
une nourriture qui les rendît capables d’une marche forcée;
pendant ce temps, nous donnions comme d’ordinaire nos consultations
médicales, en ayant soin toutefois de ne pas sortir.
Chacun au palais s’occupait des préparatifs de la guerre, les
troupes de 1 Harik se mettaient en route pour Oneyzah, et Abdallah
attendait d’un moment à l’autre l’arrivée de l’artillerie
que Mohammed-es-Sedeyri devait amener de l’Hasa. Au milieu
de ce mouvement, on n’avait pas le loisir de s’occuper de nous;
un moment de calme suivait les premiers coups de foudre, il
fallait en profiter pour nous assurer un refuge avant que la
tempête éclatât avec une nouvelle violence.
Dans l’après-midi du 24, trois des dromadaires d’Abou-Eysa
furent amenés dans notre cour; nous fermâmes la porte extérieure,
puis nous nous mîmes en devoir de les charger. Nous
attendîmes ensuite l’heure où la voix du muezzin appelle à
la prière tous les Wahabités, sans excepter même les sentinelles
qui gardent les portes de la ville. Dix minutes après, supposant
tous les habitants de Riad réunis dans les mosquées,