
Nous avions déjà fait connaissance à Hofhouf, où Ebn-Khamis
était l’hôte assidu d’Abou-Eysa, et nous étions en d’excellents
termes. Je n’éprouvai donc pas de difficultés à le prendre pour
guide; de son côté, il n’opposa aucune objection, bien qu’il
ignorât le but réel de mon voyage.
Les choses ainsi convenues, nous attendîmes une occasion
favorable pour partir; mais le vent demeura contraire jusqu’au
23 janvier, ou, profitant d’une brise du sud et d’un bon navire,
Abou-Eysa et ses compagnons s’embarquèrent avec Barakat
pour Abou-Shahr ; Yousef et moi nous devions traverser le canal
le jour suivant, afin de nous rendre à Moharrek et, de là, au
port de Bedaa, sur la côte du Katar, où résidait Mohammed-ebn-
Thani, le premier et le plus voisin des chefs auxquels nos présents
étaient destinés.
Par un de ces pressentiments que nous éprouvons souvent
sans pouvoir en donner une explication satisfaisante, je confiai
à Barakat la garde de mes papiers, de mes notes, et de tout ce
que j ’avais de précieux, sauf une petite somme d’argent destinée
à pourvoir aux besoins imprévus du voyage. Heureuse
précaution, sans laquelle le présent ouvrage n’aurait jamais
paru.
Ce fut par une belle et radieuse journée, qu’après bien des
souhaits pour une prompte réunion et des recommandations
comme ont coutume d’en faire des amis au moment du départ,
nous nous séparâmes les uns des autres. Abou-Eysa en compagnie
de Barakat et de ses serviteurs se rendit à bord du schooner,
tandis qu’Yousef-ebn-Khamis et moi nous restions au logis où
nous passâmes dans la solitude une assez triste soirée.' Nous
soupâmes ensemble du mieux que nous pûmes, et notre entretien
ce soir-là ne fut pas très-animé. J’éprouvais un singulier
sentiment de solitude; mais l’espoir d’un voyage intéressant,
suivi d’un prompt retour, me rendit bientôt courage. Yousef,
fort attristé d’abord du départ de son patron, se tranquillisa
en prédisant qu Abou-Eysa aurait une heureuse traversée
exempte de mal de mer et de tout péril. Nous fûmes tous
deux déçus dans notre espérance, comme la suite le fera voir.
Le lendemain matin, nous prîmes un petit canot, et sans être
inquiétés cette fois par les officiers de la douane, dont toute la
surveillance se borne aux importations, nous nous rendîmes à
Moharrek. Le navire avec lequel Abou-Eysa avait traité pour
notre passage était mouillé près de la citadelle qui s’élève à
l’extrémité orientale de la ville. Pour y arriver, il nous fallait
parcourir un quart de mille à travers des sables humides et sur
un petit promontoire semblable à une digue, juste assez large
pour que l’on eût pu établir une chaussée au milieu de lavase.
Enfin, nous atteignîmes le grand fort carré solidement construit
et muni de pièces de canons un peu différentes, il est
vrai, des modèles de Woolwich; il est situé à l’extrémité de
la pointe de terre et entouré d’un mur extérieur d’une étendue
considérable. Ce bâtiment était autrefois occupé par une
garnison de Bahraïn; il sert maintenant décurie aux magnifiques
chevaux de Mohammed-èbn-Khalifah. Deux dromadaires
paissaient au pied des murs ; le sultan omanite venait d en
faire don au vice-roi en reconnaissance de la suppression de
quelques taxes douanières. Ces . animaux étaient deux spécimens
de la pure race de l’Oman : l’élégance de leurs formes, leur
oeil plein d’éclat, leur robe d’un gris argenté, leur allure légère
suffisaient pour les distinguer de tout autre espèce et justifiaient
leur réputation.
Notre bâtiment mouillait à la pointe du promontoire ; il était
mal construit, mal gréé, mal manoeuvré, mais ces défauts nous
importaient peu, car nous n’avions pas 1 intention de nous
rendre plus loin que le Katar ; l’embarcation la plus légère,
pourvu qu’elle possède un pilote expérimenté, peut s’aventurer
presque sans crainte sur ces eaux paisibles, auxquelles les
Arabes ont donné le nom de Boihir-Vjl^B&udt (mer des jeunes
filles) soit par allusion à des sirènes, soit en raison du caractère
sympathique, doux et souriant de la baie qui présente ainsi, —par
son peu de profondeur, je suppose, — l’image d’une aimable
jeune lady. Nous portons nos bagages à bord, nous les recommandons
aux soins du capitaine, vieillard dont la longue barbe
aurait été aussi blanche que la neige s’il avait pris soin de la
mieux laver, et après avoir reçu l’assurance que tout serait
prêt pour le départ le lendemain matin au lever du soleil,
nous retournons à la ville.
En somme, Moharrek présente beaucoup d intérêt, bien
qu’elle ne renferme pas d’édifice très-important. Elle est surtout
curieuse par son aspect perso-arabe, ses jolies maisons,