
audiences. La sombre physionomie du gouverneur est l’expression
Adèle de son caractère ; j ’ai déjà parlé des ravages
qu il a exercés dans le Batinah ; sa conduite privée n’est pas
moins odieuse. Souvent, à ce que l'on assure, il prend plaisir à
placer sur la tête ou sur la main étendue de quelqu’un des
hommes de sa suite un citron qui fournit un but à son adresse
de tireur, et sa cruauté capricieuse le rend aussi dangereux
pour ses amis que pour ses ennemis. Sa position de vassal
de l’Oman lui impose différentes entraves, l'empêche de rien
changer aùx règles générales du commerce, aux droits de
douane, ni aux privilèges de la province. Plusieurs fois on a
voulu lui ôter sa charge, mais l’appui du Nedjed l’a fait triompher
jusqu’ici de la haine presque universelle dont il est l’objet.
Vers l’extrémité méridionale de la ville, se trouve la grande
place du Marché, qui est partagée en souks ou quartiers séparés,
suivant l’usage de l’Orient. A son centre, s’élève le Key-
saryah, beau bâtiment voûté, solidement construit et pourvu
de portes garnies de serrures en fer, que l’on ferme à la tombée
de la nuit pour défendre les richesses qu’il contient. Une tour
massive en pierre bâtie dans l’enceinte duKeysaryah renferme le
trésor de la province. Les boutiques qui l’entourent sont propres,
bien achalandées, et tout annonce la prospérité du commerce.
Au lieu des marchés arabes, dans lesquels maîtres et marchandises
reposent sur le sol ou même un peu au-dessous, nous avons
ici une série de véritables magasins avec des sièges élevés, des
comptoirs, des rayons disposés comme à Madras ou à Bombay,
sans parler d’un coffre-fort et de livres de compte de la grandeur
de ceux dont se servent chez nous les gens d’affaires. Les
négociants, qui sont pour la plupartdes Hindous ou desLouthians
(indigènes du Lous), possèdent en châles de cachemire, en
produits manufacturés du Bengale, en armes persanes et en
joyaux de toutes sortes, une richesse d’assortiment dont je ne
me serais guère douté. Le trafic des esclaves est si général,
qu’il n’existe peut-être pas dans la ville un seul marchand qui
n y prenne part, mais, suivant la prudente recommandation
d Yakoub, ce commerce est pratiqué seulement à l’intérieur des
habitations.
Le quartier septentrional de la ville renferme les petits ateliers
de tissage d où sortent les légers manteaux rouges si communs
dans l’Oman, les longues robes en tissu de coton différentes
des tuniques nedjéennes, les tapis et les rideaux dont toutes
les demeures sont pourvues. Dans les pays qui ne connaissent
ni les vastes fabriques, ni les machines à vapeur, ce genre de
travail est assez lucratif et occupe beaucoup de bras. Un grand
nombre de bijoutiers et d’orfévres exercent à Shardjah leur
délicate industrie ; quant aux forgerons, on les trouve à
chaque pas. Les rues sont propres, mais sans la moindre
symétrie ; des allées étroites et tortueuses séparent les' habitations,
construites presque toutes en feuilles de palmier. Il va
sans dire que l’espace laissé pour le quai entre les maisons
et la crique est rempli de petits bâtiments et de gâteaux.
Quelques-uns de ces derniers, qui portent sur leurs côtés des
sillons creusés par les cordes des plongeurs, appartiennent à la
pêcherie des perles. Ce point forme la limite extrême de la
côte perlière, et la pêche y est beaucoup moins productive qu’à
Bahraïn et sur le rivage du Katar.
Dans l’enceinte des murs, du côté de la terre, s’élève une tour
octogone bâtie auprès d’une forteresse; c’est elle, je suppose,
qui a suggéré à maint géographe l’idée d’inscrire sur les cartes
« la tour de Shardjah, » au lieu de mettre simplement le nom
de la ville. Cet édifice, si je ne le confonds pas avec celui que
j ’ai vu quelques jours plus tard dans l’Ormuz, a une forme
élégante, sa façade est perçée çà et là de meurtrières, ejb il a
une hauteur d’environ soixante-dix pieds. Le château qui l’avoi-
sine, bâti également en pierres, manque de régularité, il a
presque l’aspect d’une caserne et paraît beaucoup moins ancien
que la tour. Je ne trouvai personne qui pût rien m’apprendre
sur l’histoire de ces bâtiments, ni sur ceux qui les
avaient élevés. Tous deux servant maintenant de dépôt ou d’arsenal,
les portes en sont soigneusement verrouillées, circonstance
qui ne me permit pas d’en visiter l’intérieur.
Les murs d’enceinte de Shardjah sont construits avec une
sorte de grès rougeâtre qui se trouve dans le voisinage. Ils tombent
aujourd’hui en ruines, les bastions sont obstrués de décombres,
et les courtines criblées de brèches par lesquelles entrent
et sortent une foule de petits vagabonds.
Au delà des remparts, s’étend une vaste plaine sablonneuse
au milieu de laquelle on aperçoit çà e't là des bouquets de pal