
Pendant que nous nous reposons auprès d’un puits, le lecteur
me permettra de lui présenter quelques remarques générales
sur le système d’irrigation adopté dans la province de
Mascate. 11 diffère de celui qui est en usage dans l’Arabie centrale,
ou des chameaux et des ânes sont toujours employés à
tirer 1 eau, qu il faut parfois aller chercher à des profondeurs
considérables. Dans l’Hasa, qui possède des sources nombreuses
et où les puits sont souvent remplis jusqu’aux bords, la main de
l’homme suffit d’ordinaire à ce travail, et dans l’Oman, les bêtes
de somme sont encore moins nécessaires, car l’eau arrive en
abondance a la surface du sol; aussi l’on se sert pour la puiser,
tantôt de longs leviers, tantôt de cordes et de poulies. Nul pays
dans la Péninsule n’est mieux arrosé que l’Oman, nulle part les
fontaines ne sont en aussi grand nombre, grâce à la haute
chaîne de 1 Akhdar, dont les torrents fertilisent l’intérieur du
pays, grâce aussi à la mousson de l’océan Indien qui, chaque
année, se fait sentir sur les côtes. L’extrême porosité du sol empêche
cependant la formation des rivières; les cours d’eau de
1 Akhdar sont bientôt absorbés dans les ravines profondes de la
montagne; ils reparaissent à sa base sous forme de fontaines,
puis ils sont de nouveau engloutis par le terrain spongieux.
A l’entrée du hameau où nous avions fait halte, la route se
divise en deux brauches. La principale conduit à la ville de Mascate,
distanté d’environ quinze milles; mais je me sentais peu
disposé à la prendre, car elle traverse un sol pierreux, et mes
pieds nus, meurtris par la marche de la matinée, me causaient
de vives douleurs. L’autre chemin, sablonneux et uni-, — disaient
les habitants du village, — mène à Matrah, port de mer situé à
1 ouest de Mascate. Nous nous décidâmes à le suivre, et, déclinant
les invitations de nos hôtes, nous nous remîmes aussitôt en
marche. Bientôt nous aperçûmes les vastes fortifications, oeuvre
des Portugais, qui défendent du côté de la terre le voisinage
immédiat de Mascate. Des murailles, construites avec une solidité
remarquable, et dont les embrasures peuvent recevoir
des pièces d’artillerie du plus fort calibre, s’élèvent sur les hauteurs
qui dominent le grand port de mer. Ces travaux me rappelèrent
ceux que nous avons entrepris pour fortifier notre colonie
d’Aden ; mais, bien que plus pittoresques, ils sont moins
conformes aux principes de l’art moderne. Les créneaux et les
tours, qui tantôt se dessinent sur le fond sombre des collines,
tantôt disparaissent à demi au milieu des noirs ravins, ont un
aspect fantastique que mon extrême fatigue ne m’empêchait pas
d’admirer. Au delà des lignes de défense, le pays revêt un caractère
différent; le sol se couvre d’une abondante végétation;
mais partout vers la côte les rochers sont nus, stériles, et affectent
des formes bizarres èt sauvages.
Un étroit sentier nous conduisit à l’entrée des fortifications ; il
serait très-difficile d’en forcer le passage, si les tours, aujourd’hui
désertes, étaient occupées par une garnison suffisante. Le
soleil s’était couché derrière les collines avant que nous eussions
atteint Matrah, ou du moins le long faubourg qui se confond
presque avec la ville, car ces belles vallées sont couvertes d’une
population sî nombreuse, qu’il est difficile de déterminer exactement
les limites de chaque localité, les villages étant reliés les
uns aux autres par des groupes de cottages. Quand nous fûmes
arrivés aux premières maisons, nous avisâmes une villa d’assez
belle apparence, et nous prîmes le parti de nous y présenter
sans autre recommandation que le récit de notre naufrage. Notre
costume et notre détresse confirmaient amplement nos paroles;
le maître de l’habitation, qui était un riche marchand, consentit
à nous recevoir et nous fit servir un repas copieux, après lequel
il s’entretint avec nous du commerce et de la situation actuelle
du pays. Le trafic des esclaves, bien qu’il ne se pratique pas ouvertement,
est pour les négociants de Matrah la source de larges
bénéfices ; la côte africaine leur envoie encore des cornes de rh inocéros,
de l’ivoire, du bois de senteur; l’Inde leur expédie en
abondance ses productions naturelles et ses articles manufacturés;
en échange, les Omanites exportent des chevaux, des chameaux,
des ânes, des dattes, des armes, des étoffes, des tapis,
du cuivre et du plomb. Notre hôte éprouvait de vives inquiétudes
au sujet d’un vaisseau qui avait dû partir de Bombay
quelques jours auparavant; il craignait, non sans raison, que la
tempête qui nous avait été si fatale n’eût aussi déchaîné sa fureur
dans l’océan Indien; et nous apprîmes en effet plus tard
qu’elle avait causé la perte d’un grand nombre de navires sur
les côtés hindoues.
Le lendemain matin de bonne heure, nous quittâmes la maison
de notre hôte pour nous diriger vers la ville proprement