
plusieurs pièces d’artillerie frappent d’épouvante le coeur des
Arabes. J’en comptai vingt, dont douze étaient encore en assez
bon état; le palais, me dit-on, en renfermait d’autres, mais je
ne les vis pas. L’Hasa et le Katif comptent aussi une trentaine
de canons, ce qui porte à soixante environ le nombre des engins
meurtriers que possède Peysul. Autant que j ’ai pu en juger,-
quinze au plus fourniraient un service utile ; les autres, criblés
de trous par la rouille, ne peuvent faire d’autre office que celui
d’épouvantail.
Gomme .on le pense bien, je ne connus pas d’abord tous ces
détails; le premier jour je me bornai à visiter le khawah. Le
fonctionnaire chargé de l’emploi important de surveiller la préparation
du café n’était pas un nègre ni même un fils de l’Ared,
il venait de l’Harik et paraissait, un joyeux compagnon. Néanmoins,
en dépit de sa bienveillance, les hôtes réunis autour du
fourneau ne laissaient échapper que des paroles rares et contraintes,
car chacun à Riad, et surtout dans le palais du roi,
doit maîtriser soigneusement sa langue s’il veut conserver sa
tête sur ses épaules; les assistants ressemblaient donc à des
écoliers en présence d’un pédagogue sévère. Pourtant Je café était
délicieux, la capitale du Nedjed n’a pas de rivale sous ce rapport
; oubliant donc nos appréhensions, nous nous livrâmes au
plaisir de savourer l’aromatique breuvage.
Abdel-Aziz nous avait promis de revenir, mais l’arrivée d’un
personnage aussi important que le naïb rejetait dans l’ombre
de modestes docteurs syriens ; à midi, nous étions encore dans
le khawah, oubliés de tous, tandis que nos pauvres chameaux
demeuraient patiemment sur la place exposés à l’ardeur du
soleil et toujours chargés de notre bagage. Enfin un nègre vint,
au nom du roi, nous avertir de le suivre à l’étage supérieur, où
nous prîmes notre part d’un souper composé comme toujours,
de viande de mouton cuite avec du riz ; lorsque nous quittâmes
la table, notre noir Ganymède nous rappela qu’il ne fallait pas
oublier de demander à Dieu une longue vie pour notre hôte
Feysul.
Pendant ce temps, Abou-Eysa, escorté de plusieurs officiers
du palais, était allé au-devant du naïb afin de lui annoncer
qu un appartement avait été préparé pour le recevoir. Le dignitaire
persan fut très-humilié de ne distinguer, parmi ceux qui
étaient envoyés à sa rencontre, aucun membre de la famille
royale, ni même aucun ministre nedjéen; sa surprise et sa colère
ne connurent plus de bornes quand, arrivé au château, il
se vit conduit sans le moindre cérémonial, dans la pièce où
nous prenions nous-mêmes notre repas, au lieu d’être immédiatement
admis en présence de Peysul. Enfin, après le souper, on
lui recommanda froidement de prier pour le monarque wahabite,
et on le laissa libre de gagner son logis, en lui disant que
le roi fixerait plus tard le jour et l’heure où il lui plairait d’accorder
une audience particulière.
Je n’ai jamais vu indignation pareille à celle de notre Persan.
Dans son mauvais arabe, et d’une voix assez haute pour être
entendue de tout le palais, il donnait un libre cours à son ressentiment
contre les Bédouins, les Wahabites, Riad, le Nedjed,
l’Arabie entière. Les témoins de cette scène, qui comprenaient à
demi les invectives du fougueux diplomate, se regardaient sans
oser prononcer une parole; Peysul peut-être, caché dans sa retraite,
entendait les imprécations de l’étranger. Abou-Eysa
savait bien que l’antipathie était réciproque, et que si le naïb
regardait les Wahabites et leur roi comme des barbares indignes
.de délier les cordons de ses chaussures, ceux-ci, de leur
côté, voyaient en lui un misérable infidèle, destiné au feu de
l’enfer. Sentant ce que la position avait de critique, le guide
essaya de calmer l’emportement de l’impétueux Shiraziste par
des explications et des excuses, dont on pouvait dire avec l’adage
italien : Se non è vero, ben trovato. Tout ceci se passait en notre
présence, car les Persans étaient arrivés au moment où notre
repas finissait. J’avais beaucoup de peine à m’empêcher de
rire, et pour garder mon sérieux je m’absorbais dans des opérations
d’arithniétique. Quand le calme fut rétabli, nous rappelâmes
au guide que si nous avions dîné, il n’en était pas de
même de nos dromadaires et qu’un logement pour nos bêtes et
pour nous était chose désirable. Notre ami connaissait parfaitement
les êtres du palais ; en un instant il sut trouver Abdel-
Aziz et régler avec lui toüs ces détails. Le ministre poussa même
la condescendance jusqu’à venir en personne nous apprendre,
avec un gracieux sourire, que notre résidence temporaire
était prête, et que nous y allions être conduits sans délai. Nous
le priâmes alors'de nous faire connaître le bon plaisir du roi au