
lendemain, les deux partis en vinrent à un combat décisif ; l’armée
des Bédouins était, selon l’usage, précédée d’une hadyah,
c’est-à-dire d’une jeune fille de haute naissance et de grand courage,
qui devait encourager les timides et stimuler le zèle des
braves; celle qui, en ce jour mémorable, marchait à la tête des
Adjmans était, m’a-t-on dit, également remarquable par sa taille
élevée, son éloquence et la beauté de son visage. Hélas 1 le cruel
Mars ne se laissa pas désarmer par les charmes de la Bellone
arabe ; elle périt sous le fer d’un Wahabite et sa mort fut le signal
de la déroute des siens. Abdallah poursuivit les fuyards,
passa au fil de l’épée les deux tiers des Bédouins Adjmans, soumit
enfin, par ce brillant fait d’armes, toutes les tribus du nord.
Le conquérant attaqua ensuite les clans de l’ouest, les Meteyr,
les Anezah, les Oteybah, qu’il réduisit promptement à l’obéissance.
L’Hasa dut aussi 'renoncer à son indépendance, non sans l’avoir
énergiquement défendue ; le Katif vit de nouveau flotter
sur ses places fortes le drapeau nedjéen. Abdallah, victorieux
partout, tourna ses regards vers l’Oman. Plus tard, lorsque
nous visiterons les rives du golfe Persique, je raconterai dans
tous ses détails cette mémorable campagne, et je ferai connaître
la position actuelle du gouvernement omanite vis-à-vis de
la cour de Riad.
Vers le même temps, la Waddi-Seleyel fut annexée à l’empire
wahabite, je ne saurais dire si ce fut par la voie des armes ou de
la diplomatie. Cependant une petite province, bornée d’un côté
parla Wadi-Dowasir, de l’autre par le Djebel-Asir, districts à
peine moins fanatiques que l’Ared, devait causer peu d’ombrage
à Feysul. Peut-être la Wadi-Seleyel, suivit-elle simplement la
fortune du Dowasir dont elle est une sorte de dépendance.
Les événements que nous venons de raconter occupèrent environ
dix années pendant lesquelles Feysul, qui concentrait toutes
ses pensées sur des réformes religieuses et civiles, ne prit
aucune part active aux expéditions de son impétueux fils aîné;
il se contentait de visiter les provinces conquises après leur soumission,
de fixer les taxes, d’organiser l’administration locale.
Quand Abdallah revint de l’Oman, il commença dans le Kasim
la funeste campagne dont j’ai donné les détails au quatrième
chapitre de cet ouvrage. Feysul toutefois ne perdait pas de vue
les côtes du golfe Persique, où le commerce et la civilisation
avaient accumulé des richesses bien propres à enflammer sa convoitise.
Après le simulacre de paix qui fut conclu en 1855 ou
1856 entre l’autocrate nedjéen et Zamil, chef d’Oneyzah, une expédition
wahabite s’organisa par ordre de Feysul à Katif, et pour
la première fois depuis le nouveau règne, les troupes du Nedjed
montèrent sur des navires destinés à conquérir les îles Bahraïn ;
je dirai ailleurs quel fut le résultat de leur entreprise.
Le Djebel-Shomer et les provinces qui en dépendent ont été en
fait détachées du Nedjed par la vigueur d’Abdallah-ebn-Raschid.
Là encore, Feysul a fait de grands efforts pour semer la discorde
parmi les habitants et même entre les membres de la famille
royale à l’aide de ses agents hypocrites, dans l’espérance que
quelque occasion favorable se présenterait pour intervenir à
main armée; ce qui n’est en aucune façon improbable, si les
événements continuent à suivre leur cours actuel.
Pendant ce temps, Feysul devenait aveugle, et un embonpoint
croissant avec les années, — phénomène pourtant assez rare en
Arabie, — le rendait de plus en plus incapable d’un genre de vie
actif. La pusillanimité et la superstition qui en est la compagne
ordinaire ont tellement étendu sur lui leur empire, que, depuis
trois ou quatre ans, il a presque abandonné la direction des
affaires à son fils Abdallah. Il partage son temps entre l’oratoire
et le hàrem ; et ne se montre jamais en public, si ce n’est pour
faire chaque vendredi une visite matinale à la tombe de son père,
ou quand quelque événement extraordinaire le contraint à se
montrer à ses sujets. Hors des murs du palais, Abdallah gouverne
en maître absolu, tandis qu’à l’intérieur, Mahboub et
quelques nègres esclaves qui ont le privilège d’approcher du
sultan, le dirigent à leur gré. Inaccessible pour le reste de.ses
sujets, le vieux monarque reçoit en outre les fougueux zélateurs,
dont il subit passivement l’influence, adoptant sans opposition
les mesures qu’ils lui imposent, fussent-elles les plus désastreuses
au bien public. L’avarice, cette passion des vieillards, a
aussi étendu sur Feysul l’empire qu’elle exerce souvent à cet âge
sur des hommes meilleurs; la dissimulation et la tromperie,
sont en quelque sorte devenues, par suite d’une longue habitude,
sa seconde nature. En un mot, le bien qui était en lui a
presque entièrement disparu, tandis que le coeur, l’intelligence,