
ne crûmes pas devoir l’accompagner; il partit avec Abou-Eysa,
qui était chargé de plaider notre cause. Ordre fut donné aux
zélateurs de ne pas se mettre en peine de notre conduite,
et Mahboud, pour réparer autant que possible l’offense faite à
l’ambassadeur persan, lui épargna désormais les, boutades et
les railleries qui l’avaient si fort blessé.
Disons tout de suite comment se terminèrent les aventures de
de Mohammed-Ali au Nedjed. Après un mois d’allées et de
venues, de promesses et de déceptions, il se trouvait exactement
au même point que le j our de son arrivée ; Abou-Eysa lui dit
alors clairement,—plusieurs fois déjà il le lui avait inutilement
donné à entendre, — que dans la capitale wahabite, l’argent
est le seul éperon capable de faire avancer le coursier de la
diplomatie, et que s’il voulait avoir une réponse favorable, il
fallait se résoudre à quelque sacrifice.
Ces- réponses sonnaient mal à l’oreille du naïb, qui était
avare comme la plupart de ses compatriotes. Il fallut néanmoins
s’exécuter. Le lendemain le fusil à deux coups était déposé chez
Abdallah, le samovar chez Mahboub, et un rubis discrètement
offert à Feysul, prenait place parmi les joyaux du vieux despote.
Je crois même que sa fille, son secrétaire intime, eut
aussi part aux largesses du naïb. L’effet fut magique. A l’instant
même, le roi signa une lettre d’excuses adressée à la
cour de Téhéran, et dans laquelle on rejetait sur le guide
Abou-Boteyn, « maintenant réfugié au milieu des infidèles
d’Oneyzah, » toute la responsabilité des dommages supportés
par les pèlerins persans. Aussitôt que Dieu l’aurait livré à
la vengeance des vrais croyants, le traître serait chargé de
fers et envoyé en Perse, à moins qu'il n’eût été tué auparavant,
comme on pouvait charitablement l’espérer. Nulle allusion ne
fut faite à Mohanna ; d’indemnités et de réparations, pas un
mot, seulement on promit de rendre ce qu’Abou-Boteyn res-
t.tuerait quand on serait parvenu à l’arrêter.
Pour fermer la bouche au naïb et empêcher des représentations
trop vives au sujet de la spoliation dont ses compatriotes
avaient été victimes, on résolut de lui faire quelques
présents. Un cheval efflanqué qui, à Bombay aurait à peine valu
deux cents roupies *, un chameau de peu de valeur, trois ou
1. Environ quatre cent cinquante francs.
quatre manteaux d’étoffe commune fabriqués dans l’Hasa, tel
fut le gâteau jeté dans la gueule du cerbère iranien pour l’empêcher
d’abôyer. Le naïb était mauvais juge en fait de cheval
ou de chameau ; et quant aux manteaux, d’une étoffe nouvelle
pour lui, ils.furent jugés magnifiques. En retour d’une si large
libéralité, il donna sa parole que les pèlerins persans continueraient
à suivre la route du Nedjed, assurant ainsi à
Feysul une source abondante de revenus. Ce fut, depuis le
commencement jusqu’à la fin, une sale affaire; elle ne fit
honneur ni au roi nedjéen, ni à ses ministres, ni surtout à
l’envoyé qui avait abandonné les droits de ses compatriotes,
trahi les intérêts de son gouvernement pour un vieux cheval,
un chameau étique et quelques misérables habits.
Comme complément du traité, Abou-Eysa fut, à 1 exclusion de
tout autre compétiteur, nommé chef des pieuses caravanes qui
passent par le golfe Persique pour se rendre dans l’fledjaz ;
cette mesure avait du moins l’avantage d’assurer pendant la
route de bons traitements aux malheureux shiites, en même
temps qu’elle procurait à notre ami des émoluments assez
larges pour lui permettre de satisfaire ses habitudes coûteuses
et sa générosité presque prodigue.
Mohammed-Ali avait encore une question à résoudre; c’était
de décider par quel chemin il retournerait en Perse. L’hiver
approchait, la route de terre, qui traverse les plateaux du
Djebel Toweyk, l’exposait à souffrir beaucoup du froid; d’autres
raisons d’ailleurs se joignaient à celle-là pour lui faire préférer
la voie du golfe Persique. Mais il était fervent shiite, et comme
tel, incapable de prendre la moindre résolution sans avoir consulté
les grains de son rosaire. Trois fois il renouvela l’épreuve,
et trois fois les perles lui répétèrent qu’Allah lui ordonnait de
prendre la route des montagnes, il se décida donc à la suivre,
quoiqu’il dût en résulter pour lui un surcroît de fatigues et de
dépenses.
Mes lecteurs savent peut-être que les Persans, et en général
tous les shiites, ne sauraient rien faire, pas même boire une
tasse de thé ou allumer une pipe, sans consulter leur chapelet;
coutume ridicule, justement réprouvée par les Wahabites qui,
dans leur haine profonde pour la magie, les talismans, lfart divinatoire,
les sortilèges, condamnent apssi les présages,, Tinter