
ploi assez profitable, quand il se trouve entre les-mains d’un
homme dont une conscience rigide et le mépris du gain ne forment
pas les qualités dominantes. Son caractère du reste est
celui qui distingue la majorité des anciennes familles de Riad.
Il a un extérieur réservé, une langue doucereuse, des manières
graves et courtoises servant à cacher un fonds de perversité qui
rend son intimité dangereuse, son inimitié mortelle-, son amitié
suspecte. Tels sont les traits les plus saillants de la race Ared,
de cette race qui constitue la force, l’âme et la vie du gouvernement
wahabite ; nous en avons déjà vu un spécimen dans le
gouverneur Mohanna; ici nous trouvons une province tout entière
de Mohannas. g Gens envieux et- se haïssant les uns les
autres, » me repétais-je constamment; Saül ou Doeg, Joâb ou
Achitophel, peuvent donner à mes lecteurs une idée exacte de ce
type. Une basse jalousie domine tous leurs sentiments ; la rapacité
et la licence viennent presque toujours s’y joindre; l’orgueil
chez eux est universel, la vanité rare. Si l’on ajoute que ces
hommes possèdent un courage indomptable, une inflexible volonté,
une persévérance rare, unie à la ruse et à l’astuce, une
audace habilement contenue jusqu’au moment de frapper le coup
décisif, on comprendra comment ils ont réussi à fonder un empire
fort étendu, malgré l’horreur qu’il inspire, un pouvoir auquel
on se soumet tout en l’exécrant, et qui basé sur l’oppression
est souvent obligé de recourir à la terreur et à l’effusion du
sang.
Avant de raconter en détail ce que j ’ai vu et appris pendant
mon séjour dans cette ville étrange, je dois faire appel à la confiance
qu’en ma qualité d’Anglais, je crois mériter. Les événements,
les caractères, les scènes qui se dérouleront sous les
yeux du lecteur paraîtront, je ne l’ignore pas, peu vraisemblables
à beaucoup de personnes, et en outre, je deviendrai, plus
souvent qu’il ne serait désirable, le héros de mon récit. Mais la
vérité des-faits doit l’emporter sur ces inconvénients, si grands
qu ils soient; mon devoir est de raconter simplement ce dont
j ’ai été témoin, ce qui m’est arrivé; mon but, de donner une idée
aussi exacte, aussi complète que possible d’un pays, d’un gouvernement,
d’un peuple, qui considérés soit en eux-mêmes, soit
dans les analogies qu’ils présentent avec d’autres nations, d’autres
gouvernements, offrent à l’observateur un spectacle attachant
et instructif; ces ressemblances sont tellement évidentes,
que plus d’une fois elles se sont imposées à mon esprit quand j ’aurais
mieux aimé fermer les yeux pour ne pas les voir. Le tableau
qui nous peint le mieux nous-mêmes est le visage de notre semblable
; si quelqu’un de mes lecteurs vient à se reconnaître dans
le miroir oriental que je lui présente,' il ne fera pas, je l'espère,
comme l’homme dont parle l’Ecriture qui, après avoir considéré
ses traits, s’en va, et oublie à l’heure même ce qu’il a vu.
Accompagné de quelques officiers du palais, Abdel-Aziz s’avança
majestueusement vers nous et s’assit à nos côtés ; puis,
de l’air le plus affable, il nous souhaita la bienvenue et nous
adressa les questions ordinaires : « Qui étions-nous? — D’où
venions-nous? » etc. Après avoir écouté nos réponses, qui
étaient exactement celles que nous avions faites partout sur
notre route, il nous offrit d’entrer dans lekhawahet nous promit
une audience de Feysul pour le jour même. Nous le suivîmes à
travers un corridor long et obscur qui donnait accès dans la
cour intérieure. D’un côté, se trouvent les appartements du roi,
sa salle d’audience, son oratoire, les chambres de ses nombreuses
épouses, enfin le pavillon occupé par sa fille, princesse
sur le retour qui sert de secrétaire intime au monarque nedjéen
et qi^e, pour cette raison, il n’a voulu marier à aucun de ses
adorateurs. Cette partie du palais a une très-grande élévation,
cinquante ou soixante pieds depuis le sol jusqu’à la terrasse qui
surmonte le troisième étage. C’est là que Meshari fut tué par
Abdallah, père de notre ami Télal. Dans la cour intérieure,
vaste rectangle entouré de banc|, Feysul donne parfois des
audiences à demi publiques. Une porte, étroite et soigneusement
gardée, conduit de cet endroit aux appartements que nous
venons de décrire et qui forment dans le palais même un palais
particulier. La partie de l’édifice réservée au roi se rattache avec
le reste du château par une galerie couverte et à la mosquée par
la longue colonnade qui traverse la cour extérieure; toute autre
communication avec le dehors a été rigoureusement fermée. Les
fenêtres sont garnies d’épais barreaux de fer, les portes, chargées
de lourds verroux, en outre un glacis entoure les murs et
leur donne l’apparence d’une fortification régulière.
De l’autre côté du sombre couloir que nous parcourions se
trouve le khawah, salle basse et triste de quarante pieds dè long