
rapprochées de nous, un phénomène analogue. En Arabie, les
provinces de l’Hasa et du Katif subissant l’inévitable enchaînement
des faits, restèrent détachées de l’Islam; leur religion, mélange
confus de pratiques sabéennes, de doctrines carmathes et
shiites, dégénéra bientôt en naturalisme, — pour désigner sous
un nom nouveau une chose fort ancienne, — puis en matérialisme
et en indifférence profonde, tandis que le peuple, selon
son usage, y mêlait un grossier fétichisme. La foi chrétienne,
.bien qu’elle eût fait de rapides progrès aux îles Bahraïn,
comptait très-peu d’adhérents sur les côtes du golfe Persique,
et l’on ne trouve dans l’histoire de l’Hasa presque aucune trace
de son influence.
Cependant l’agricullure, l’industrie, le commerce et les arts
se développaient tour à tour, favorisés par les richesses naturelles
du pays, par son heureuse position géographique. Les
habitants, satisfaits d’avoir secoué le joug de La Mecque et de
Bagdad, jouissaient paisiblement de l’indépendance politique et
religieuse. Des ruines nombreuses, les unes fort anciennes, les
autres de date récente, attestent seules aujourd’hui la longue
prospérité de l’Hasa. A sa naissance, le wahabisme eut tout
d’abord pour ennemis implacables les princes qui gouvernaient
les provinces orientales ; mais les successeurs des chefs carmathes
ne purent lutter longtemps contre des forces supérieures,
dirigées par un habile capitaine ; ceux qui échappèrent
au glaive d’Ebn-Saoud se réfugièrent, les uns en Perse, les
autres dans le désert de Koweyt, le plus grand nombre, au fond
de l’Harik, laissant leur malheureux pays devenir la proie des
rudes montagnards nedjéens. L’islamisme devint la religion
obligatoire de l’Hasa et du Katif, on rebâtit à grands frais les
mosquées, et;, cinq fois par jour, des hommes dont le coeur
est plein d’aversion pour le Prophète, sa religion, ses livres
sacrés, durent aller au temple et réciter, le visage tourné vers
La Mecque, les formules du Coran.
Dès qu’Ibrahim-Pacha eut brisé le colosse nedjéen, l’Hasa, '
saisissant l’occasion qui s’offrait à lui de revendiquer la liberté
civile et religieuse, devint l’allié fidèle de l’Egypte. Mais les nouveaux
maîtres du pays, enivrés par le succès, oublièrent en
Arabie la modération qui leur avait été enseignée au Caire et
introduisirent un système de gouvernement digne plutôt des
anciens Mamelouks que du sage Mehemet-Ali. Ils traitèrent les
habitants de l’Hasa en peuple conquis, non en sujets qui avaient
reconnu volontairement leur autorité, prélevèrent des taxes
exorbitantes, mirent au pillage les maisons des riches, emprisonnèrent
les nobles sous de frivoles prétextes; enfin, non contents
de ces actes de violence, ils obligèrent les citoyens les plus
honorables d’Hofhouf à remplir en public des offices dégradants;
plusieurs femmes furent même insultées dans les rues de la
ville. La coupe d’oppression était remplie, une insurrection
meurtrière chassa les Égyptiens, et la province recouvra pour
un temps son ancienne indépendance.
Quelques années plus tard, la dynastie wahabite, restaurée
par Turki, reprit sous Feysul son énergie première. Le monarque
nedjéen résolut de soumettre l’Hasa, et il accomplit én
effet son dessein après une guerre longue et sanglante pendant
laquelle, si j’ai bonne mémoire, il seconda en personne les opérations
militaires que commandait son fds Abdallah. Les fortifications
d’Hofhouf et de plusieurs autres villes furent détruites,
les forteresses démantelées, un grand nombre de
villages ruinés complètement. En récompense, les anciennes
mosquées furent réparées avec soin, on en bâtit de nouvelles, et
une couche d'orthodoxie cacha aux regards le peu de fond des
croyances religieuses. Cependant, de même que le feu couve
sous la cendre, la réaction carmathe brûle secrètement, attendant
l’occasion d’éclater en un vaste incendie, capable peut-être
de consumer à la fois la réforme wahabite et l’islamisme tout
entier. Mais, séparés de l’Egypte par toute la largeur de la Péninsule,
hostiles aux Turcs de Bagdad, n’ayant aucun secours à
espérer du gouvernement décrépit de la Perse, les chefs de
l’Hasa méditent des plans de révolte dont la puissance du Nedjed
rend l’exécùtion impossible, et cherchent vainement autour
d’eux un libérateur capable de les affranchir.
Ces détails suffisent pour faire apprécier la situation générale
du pays ; les renseignements recueillis pendant notre séjour à
Hofhouf en confirmeront l’exactitude.
Un excellent déjeuner nous attendait à notre réveil. Il se composait,—
luxe inouï, dont nous n’avions vu nul exemple depuis
que nous avions quitté le Liban, — de volaille rôtie, de riz, de
gâteaux, dus à l’habileté culinaire de la femme d’Abou-Eysa,