
enfin ils ont adopté les doctrines de Kaïm-ez-Zeman qui les
ont conduites au panthéisme d’abord, au matérialisme et au
pyrrhonisme ensuite ; ces diverses évolutions de l’intelligence
humaine mériteraient d’être étudiées.avec plus d’attention qu’on
n’a cru devoir leur en accorder jusqu’ici. En attendant un travail
si désirable, je renvoie ceux de mes lecteurs qui désireraient
jeter un coup d’oeil,sur les ombres étranges du monde
oriental, à l’introduction intéressante et profonde dont le baron
Sylvestre de Sacyafait précéder, son ouvrage sur les ûruses.
Pressant le pas de nos chameaux, nous traversâmes Katif,
qui est trois fois plus longue que large, comme toutes les villes
côtières ; nous sortîmes ensuite par la porte opposée, mais,
bien que la mer fût seulement à dix minutes de distance, nos
regards avides la cherchaient en vain, tant la plage est basse,
tant elle est couverte d’arbres touffus. Nous longeâmes les remparts
jusqu’à l’endroit où s’élève la vaste citadelle carmathe, et
immédiatement après, la vallée s’ouvrant devant nos pas, nous
permit d’apercevoir la surface morne de la baie. Combien elle
diffère des eaux brillantes de la Méditerranée, pleines d’éclat
et de vie, auxquelles nous avions dit adieu huit mois auparavant
en quittant Gazai Pareille à une lame de plomb, moitié
vase, moitié laiche, la mer bourbeuse s’étendait devant nous,
sans vagues, sans mouvement; à notre gauche, les murailles
massives de la forteresse descendaient presque jusqu’au bord
de l’eau, puis elles se détournaient afin de laisser une étroite
esplanade entre leur contour et le golfe. Sur la côte, étaient
rangés quelques canons rouillés, qui attestaient l’ancienne importance
de la place ; devant la principale porte un ouvrage
avancé, qu’un seul coup de canon aurait suffi pour jeter bas,
menaçait la mer des six pièces d’artillerie hors d’usage qu’elle
étalait avec orgueil. Les remparts de la citadelle, construits en
briques mélangées de pierre, sont assez solides pour résister
à une première attaque; la double porte qui donne accès dans
la forteresse, est flanquée de hautes tourelles. De longs bancs
de pierre nous invitaient à laisser nos chameaux s’accroupir
sur l’esplanade, tandis que nous prendrions quelques instants
de repos en attendant l’heure d’être présentés au gouverneur.
Le château de Katif occupe le fond d’une petite baie demicirculaire,
découpée à la base d’une autre beaucoup plus grande ; '
au nord et au sud s’élèvent deux longs promontoires surmontés
l’un, par le fort deDarim, l’autre, par celui de Daman.
On compte entre les deux citadelles une distance d’environ
douze milles en ligne directe, mais elle serait presque double si
l’on suivait les sinuosités de la côte. Dans cet enfoncement
croupissent les eaux paresseuses du golfe; à lq marée montante
, elles présentent l’aspect mensonger d’une calme profondeur,
mais quand le flot se retire, il laisse à découvert des
touffes de plantes marines, des bancs de sable, des îlots, entre
lesquels serpentent d’étroits canaux de vase. La plage, qui se
confond presque avec la mer, est en quelques endroits nue et
stérile, en d’autres, couverte de palmiers et de taillis. Un seul
coup d’oeil suffit au voyageur pour reconnaître combien cette
côte, tristement célèbre par les fièvres et les maladies qu’elle
enfante, justifie sa sinistre renommée.
Dans la baie de Katif flottent à la marée haute, sont engravées
à la marée basse, vingt ou trente barques arabes dont la
grandeur varie depuis celle d’un petit schooner jusqu’à celle
d’un simple bateau de pêche; elles portent toutes des voiles
latines, les seules que l’on connaisse ici. Un navire, auquel on
s’occupait de poser les derniers gréements, attira notre attention,
et nous nous sentîmes pénétrés d’une crainte pleine de
respect en apprenant que ce vaisseau représentait la marine du
puissant Feysul ; semblable au vaillant soldat qui à lui tout
seul prétendait se former en carré, puis en ligne, pour repousser
et vaincre l’ennemi, il doit tenir en respect les flottés réunies
des îles Bahraïn, de l’Oman, de l’Angleterre, et même les détruire,
si elles risquaient follement une attaque. Ce navire,
escadre ou armée navale, ressemble fort à un charbonnier de
Newcastle, et si l’on en juge par sa forme, il est tout aussi bien
approprié aux manoeuvres guerrières. Les habitants de Katif
le considèrent cependant avec une grande frayeur, et n’en parlent
jamais qu’à voix basse. A côté de la batterie côtière dont
j ’ai parlé plus haut, se trouve la douane, hutte longue et étroite,
appelée par les Arabes * Maasher » (maison de décime), parce
que le gouvernement prélève un dixième sur toutes les marchandises
importées. On apercevait au loin d’humides bois de
dattiers et des marais salins. C’était en somme une scène mé