
étroit et sale marché, où quelques boutiquiers et quelques artisans
de Bahraïn exercent leur modeste trafic ; les maisons, petites
et sombres, sont séparées les unes des autres par des ruelles
irrégulières. Le nombre des habitants s’élève à environ six mille ;
quelques colons del’Hasa viennent parfois tenter la fortune dans
le pays, mais avec peu de succès. Partout on rencontre des-
femmes de pêcheurs, portant leurs malpropres marmots, et des
hommes en haillons, qui sont trop dévorés de soucis pour être
sociables. Si nous descendons au rivage, nous y trouvons des
rangées nombreuses de grands bateaux noirs dont les bords
creusés indiquent les points où l’on descend les cordes des plongeurs
; une extrémité s’attache à la taille du pêcheur de perles,
l’autre reste entre les mains de ses compagnons, qui le remontent
à la surface quand il a besoin de respirer. Mes lecteurs peuvent
maintenant se faire une idée de Bedaa et des séductions qu’elle
offre aux yeux, aux oreilles, aux narines surtout des voyageurs.
Ses habitants sont néanmoins bons et hospitaliers, mais l’excès
du travail les accable; de plus, leur séjour prolongé au fond de
l’eau, joint aux privations et aux souffrances de toutes sortes
qu’ils endurent en pleine mer pendant des semaines et des mois,
donne aux hommes l’apparence d’un complet épuisement.
Il y a peu d’années encore, Bedaa n’avait ni mosquée, ni aucun
autre édifice public d’adoration, et nous devons croire charitablement
que chacun s’acquittait en particulier de ses obligations
religieuses. Depuis la dernière invasion nedjéenne et l’établissement
d’Ahmed-es-Sedeyri à Bereymah, il s’est produit un
réveil en faveur de l’islamisme dans quelques parties du Katar,
et deux mosquées décorent maintenant la capitale. L’un de ces
temples, situé au nord du château, est assez vaste, mais simple
et sans aucune espèce d’ornements, comme l’exige l’orthodoxie
wahabite. L’autre, construit à l’extrémité opposée de la ville, a
plus d’élégance, et l’on y pénètre par un portique en arcades
d’un style demi-persan. Mohammed-ebn-Thani, soit par des
motifs politiques, soit par une conviction sincère, se montre dévot,
et remplit souvent en personne les devoirs d’iman dans la
grande Mosquée. La plus petite des deux mesdjid est ordinairement
honorée par la présence de son fils aîné, Kasim, jeune
homme plein de fougue, mais qui, pour l’avarice, ne le cède en
rien à son père. Le château de ce prince, bâtiment carré muni
de créneaux et percé de fenêtres à ogives s’élève près de l’extrémité
méridionale de Bedaa; au delà, des rochers ferment
la baie.
Nous fûmes bientôt las de boire de mauvais café, — car ici la
fève de l’Yémen cède la placé au produit inférieur de l’Inde,
contre lequel se révoltent les palais habitués au vrai moka;—las
d’entendre ou de raconter de longues histoires dans le divan
d’Ebn-Thani, las enfin de respirer l’air insalubre de la côte,
nous résolûmes de rompre la monotonie de notre existence en
faisant quelques excursions dans les localités voisines. Nous visitâmes
d’abord Douhah, village situé au nord de Bedaa. Placé,
comme l’indique son nom « d’entrée, » ou de « crique, » dans
une petite baie profonde, il est adossé à des rochers hauts de,
soixante ou quatre-vingts pieds, qui lui donnent un aspect assez
pittoresque. Mais ses maisons sont encore plus basses que celles
de Bedaa, son marché plus étroit et plus sale. Deux forteresses le
dominent : l’un s’élève sur le rocher voisin, l’autre dans le village;
le gouverneur n’est guère qu’un collecteur d’impôts placé
sous’ les ordres d’Ebn-Thani. Trois jours avant mon arrivée,
Douhah avait reçu la visite du vice-roi de Bahraïn, qui poursuivait
en ce lieu une de ses éphémères et charmantes conquêtes.
Je dirigeai ma seconde excursion vers Wokrah, ville égale en
étendue à Bedaa, mais bâtie sur un point élevé du rivage, et
dont l’apparence est beaucoup moins triste. Son jeune chef,
nommé aussi Mohammed, bien qu’il n’appartienne pas àla famille
des Ebn-Thani, me frappa par son intelligence et sa politesse; en
outre, son hospitalité l’emportait de beaucoup sur celle de son
homonyme. Sous son patronage, plusieurs artisans et marchands
des îles Bahraïn se sont établis à Wokrah, et la bourgade
commence à prospérer. La route que nous suivîmes pour nous
y rendre s’ét end nue et stérile le long de la côte sur un espace de
dix milles. Je fis le chemin sur un âne de louage, seul moyen de
locomotion que l’on emploie au Katar pour les courts trajets.
Ma monture portait une selle de dame qui me donnait, non pas
l’air d’un gentleman, mais du moins, sous un rapport, celui d’une
lady, ma longue tunique arabe pouvant à la rigueur passer pour
une robe d’amazone. Je ne pris avec moi aucun compagnon,
tant les routes sont sûres dans ce pays, où l’activité des affaires
. ne laisse pas de place au brigandage.