
rité. Pendant huit siècles, l’Oman n’eut à enregistrer ni guerres,
ni révolutions, ni discordes civiles; renonçant à toute relation
avec le monde islamite, abolissant le pèlerinage de" la Mecque,
laissant tomber en désuétude les lois du Prophète, il jouit de
la liberté intérieure, choisit lui-même sa religion, la forme de
son gouvernement et ne fut contraint de se courber devant aucune
intervention étrangère.
Un événement qui exerça une grande influence sur les destinées
du mahométisme, une tempête qui souleva partout les
flots des passions haineuses, vint troubler le calme profond des
Omanites. Les habitants du Djebel-Akhdar entretenaient avèc
l’Hasa de fréquents rapports ; les sectes secrètes, qui avaient
pris une si grande extension sur les côtes du golfe Persique,
s’étaient d’abord formées dans l’Oman, où elles avaient hérité
des enseignements de Katari et de ses disciples. Quand l’insurrection
carmathe mit l’Arabie en feu, les montagnes de l’Akhdar
fournirent aux troupes d’Abou-Tahir de vaillants auxiliaires.
Les musulmans orthodoxes finirent cependant par triompher,
et 1 Oman eut à craindre la vengeance terrible des vainqueurs.
Une expédition fut dirigée contre lui par l’un des califes abas-
sides (il m’a été impossible de savoir lequel) ; le Katar et la
province de Shardjah devinrent un monceau de ruines; mais
la rage de 1 ennemi dut s’arrêter devant les frontières presque
inaccessibles de l’Oman proprement dit.
Les hostilités de l’Islam obligèrent les sectaires carmathes à
prendre de nouvelles mesures et surtout à choisir un signe de
ralliement qui leur permît de se reconnaître afin de se prêter
au milieu des combats et des périls une mutuelle assistance.
Dans ce but, ils adoptèrent le turban blanc, d’où leur vint le surnom
de Biadites (enfants blancs), par opposition à la couleurverte
qu avajent arborée les Fatimites. Le titre de biadites, particulier
d’abord aux carmathes, s’étendit plus tard à la population entière
de 1 Oman. Il est vrai que l’historien Makrizi assigne à ce
nom une origine différente ; selon lui, biadite est une- corruption
de beydanitc, et signifierait disciple de Beydan, sectaire iranien
qui vivait au treizième siècle de l’hégire. Mais il paraît peu
probable que ce Beydan ait jamais visité la Péninsule, et que,
meme dans son pays, il soit devenu assez célèbre pour s’ériger
en chef de religion ; de plus, les lois de la dérivation arabe ne
permettent pas d’adopter un instant l’hypothèse du savant Tadj-
ed-din-Makrizi. Les Arabes de nos jours ne sont pas plus habiles
que ne l’étaient autrefois les Latins à découvrir les étymologies
de leur propre langue ; peut-être même se trompent-ils
plus souvent encore, car l’ancienne Europe ne s’est jamais montrée
aussi dépourvue de jugement critique que l’Orient.
Comme les Druses, les Ismaéliens et d’autres sectes sem
blables, les biadites mêlent aux pratiques sabéennes, au rationalisme
carmathe, certaines doctrines mahométanes suffisantes
pour déguiser leur-véritable croyance aux yeux des musulmans
orthodoxes. Leurs mezars peuvent au besoin tenir lieu de mesjids
ou mosquées régulières ; mais il est rare que les Omanites se
rassemblent pour accomplir en commun des rites religieux ; 'ils
murmurent à voix basse leurs prières qu’ils accompagnent de
prosternements particuliers, un grand nombre se tournent
vers le nord, aucun vers la Kaaba. Je ne saurais dire si le nom
de Yah ou Yahi, que les biadites seuls donnent à l’étoile polaire
dérive du culte sabéen ; je n’ai découvert ni l’étymologie, ni
la signification spéciale de ce mot. Dans les autres provinces
arabes, on emploie le terme moins mystique-de Djedi, la chèvre,
ou de Mismar, la cheville, à cause de la fixité qui distingue l’étoile
polaire. Vénus, ordinairement appelée Zahra dans la Péninsule,
devient ici Farkad, nom que l’on applique ailleurs à Arcturus.
Semak désigne quelquefois la Chèvre, quelquefois Arcturus, et
les Omanites appellent Semakan (mot qui est le pluriel de Semak),
tantôt les Gémeaux, tantôt les deux étoiles de première
grandeur de la constellation du Cygne. Ces dénominations du
reste sont fort variables, les Arabes mettant aussi peu de précision
dans leur nomenclature astronomique que dans celle de
l’histoire et de la géographie.-
Le jeûne annuel des biadites, plus rigoureux encore que celui
des Mahométans ordinaires, dure un mois entier. L’abstinence
quotidienne est obligatoire jusqu’à ce que les étoiles paraissent
dans le firmament. Le souverain exerce seul ici la suprême
autorité religieuse, d’où l,ui est sans doute venu en Europe le
surnom d’Iman. Les cérémonies 'officielles du culte omanite
ne se célèbrent que dans les trois grandes villes du royaume,
Sohar, Nezwah et Bahilah ; Mascate, dont le développement
est de date récente, ne jouit pas du même privilège.
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