
peut-être en Arabie qu’ailleurs, avait assuré l’existence et dirigé
l’éducation jusqu’à ce qu’il fût en âge de se suffire à lui-même.
Accompagnés d’un petit groupe d’habitants, amis de notre guide,
riant et causant avec eux, nous prîmes un sentier que bordaient,
à droite, les écuries royales, à gauche, le vaste jardin d’Abdel-
Latif, cadi de la ville. Enfin nous entrâmes dans le cimetière,
immense champ funèbre où gisent oubliées plusieurs généra-
. tions, car le rigorisme wahabite en a exclu tout signe apparent
d’honneur et de regret. C’est là que Turki, père du monarque
actuel, repose à côté de ses rivaux Ebn-Theneyan et Meshari,
mais rien ne distingue aujourd’hui ces puissants de la terre du
plus misérable de leurs sujets.
Plusieurs chemins, traversant le cimetière, conduisent aux
différentes portes de Riad ; nous nous dirigeâmes vers celle du
nord-est, vaste monument flanqué de tours massives et gardé par
une troupe d’hommes armés de sabres. Le guide, ayant répondu
à leurs questions, nous prîmes une large rue bordée de maisons
hautes de deux étages et séparées les unes des autres par des
mosquées, des puits destinés aux ablutions, des cours plantées
d’arbres à fruit. Après avoir parcouru deux cents mètres environ,
nous arrivâmes devant le palais d’Abdallah, construction récente
presque symétrique qui se distingue des autres édifices par ses
portes ornées de sculptures et ses trois rangs de larges fenêtres
superposées. Des groupes de nègres et de serviteurs, assis
sur les bancs qui garnissent les murs, ouvraient en nous apercevant
des yeux étonnés. Un peu plus loin s’élève la résidence de .
Djelouwi, frère de Feysul, que des affaires importantes retenaient
en ce moment à Kelat-Bisha. Enfin nous atteignîmes une grande
place bornée, à gauche, par le spacieux palais des monarques
wahabites, à droite, par une rangée de boutiques et de magasins.
Devant nous, c’est-à-dire à l’ouest, une longue galerie couverte,
soutenue par une colonnade grossière, traversait la place
dans toute sa largeur et reliait le château à la grahde mosquée ;
le vieux roi l’a fait construire afin d’aller entendre les prières
du vendredi sans exposer son auguste personne à la curiosité du
vulgaire, peut-être à la perfidie d’un traître, car le sort de son
père et de son grand oncle, assassinés dans le temple même,
a rendu Feysul fort timide. A l’extrémité de la galerie, des magasins
terminent la place, dont la longueur totale est d’environ
deux cents -pas, la largeur est moitié moindre. A Tombre des
murailles du palais, cinquante ou soixante femmes étaient assises
devant des vases de lait, des paniers remplis de pains, de dattes,
de fruits, de légumes ; autour d’elles se réunissaient une foule
d’acheteurs, et de tous côtés arrivaient des chameaux et des dromadaires
pesamment chargés.
Cependant nous ne prêtions pas grande attention au spectacle
animé qui nous entourait; une seule pensée préoccupait notre
esprit, nous allions être présentés au terrible Feysul. Suivant la
longue muraille du palais qui, pareil à une forteresse, ne laisse
apercevoir aucune ouverture, nous arrivâmes devant une porte
étroite, basse, enfouie entre deux bastions. Elle donnait accès
dans un sombre passage que l’on aurait pris pour le vestibule
d’une prison; des gardes armés, les uns Arabes, les autres
nègres, obstruaient le chemin et leur mine sévère n’était pas de
nature à encourager un étranger. Nous nous assîmes sur les
bancs qui étaient adossés à la muraille en dehors du palais,
pendant qu’Abou-Eysa entrait seul pour annoncer notre arrivée
et celle du naïb.
Bien qu’il fût tout au plus huit heures du matin, une foule
nombreuse encombrait la place, car le marché était ouvert et
chacun s’empressait de faire ses achats. Beaucoup de gens se
retournaient pour nous regarder, cependant personne ne s’approchait
de nous, réserve qui nous étonnait fort.
Enfin, au bout d’une demi-heure, un individu grand, maigre,
à la physionomie intelligente, mais cauteleuse et peu sympathique,
s avança vers nous ; ses vêtements, que ne profanait pas
le moindre fil de soie, étaient néanmoins fort riches et annonçaient
un rang élevé. Ce personnage, nommé Abdel-Aziz, prenait
le titre de Vizir-el-Kharidjyah, c’est-à-dire qu’il remplissait dans
le Nedjed des fonctions analogues à celles de notre ministre des
affaires étrangères. C’est lui qui règle le cérémonial de réception
des ambassadeurs ou qui envoie des représentants dans les
cours étrangères ; il expédie les lettres, les messages d’État, et
préside aux questions d’importance secondaire qui concernent
les alliés ou les voisins du Nedjed; c’est lui qui tient les rôles
d après lesquels est fixé le nombre d’hommes que doivent fournir
les villes et les provinces ; enfin, il exerce un contrôle effectif
sur la perception des droits d’exportation ou d’importation, em