
lendemain, nous eûmes été introduits dans le khawah privé, et
qu’il nous eut offert du café et des parfums, il nous retint une
heure entière, soit pour lire avec lui mon volume de thérapeutique
imprimé à Boulac, soit pour déchiffrer un manuscrit
sans date qui faisait partie de la bibliothèque de Son Altesse et
contenait des définitions de Galien tronquées et mal comprises,
des traités arabes, des recettes pharmaceutiques laissées par le
Prophète, recettes propres à donner une pauvre idée du savoir
médical de leur auteur; car elles étaient entremêlées de termes
botaniques empruntés au persan ou à l’idiome de la Haute-
Ëgypte, et Daniel lui-même aurait été embarrassé d’en démêler
le sens. Nous traitâmes ces doctes autorités avec le respect qui
leur était dû, en essayant de leur découvrir une signification
quelconque. Je ne sais si nous'y parvînmes, mais, en tout cas,
nous réussîmes à gagner les bonnes grâces du farouche Nedjéèn.
A partir de ce jour, les serviteurs du palais eurent pour nous
un visage épanoui par le sourire, si c’étaient des blancs, par
une grimace, si c’étaient des noirs, car les flatteries pour les
gens en faveur sont de tous les pays.
Pendant un mois, nos relations avec le prince continuèrent
à être satisfaisantes. Presque chaque jour, nous étions invités à
des réceptions générales ou particulières, et nous respirions
pendant deux ou trois heures l’atmosphère de la royauté. Son
Altesse, qui se montrait très-communicative, parlait politique
avec la présomption de l’ignorance, et se raillait des puissances
qui, peu d’années auparavant, avaient anéanti l’empire de ses
ancêtres, décapité l’un de ses prédécesseurs, envoyé un autre
en exil et condamné son père à une longue captivité. Constan-
tinople et Le Caire n’étaient rien aux yeux d’Abdallah; un
jour que je lui demandais s’il n’avait pas fait le pèlerinage de
La Mecque :
« Je le ferai, mais à cheval, » répondit-il, donnant à ses paroles
un sens que l’avenir se chargera peut-être de ratifier.
Il m’exposa ensuite ses plans pour l’assaut d’Oneyzah : l’artillerie
devait battre les murs en brèche, ou mieux encore, une
puissante machine hydraulique dissoudrait les revêtements, qui
étaient ën briques simplement séchées au soleil. Les victoires
qu’il avait remportées sur des Bédouins pillards ou des voisins
paisibles, avaient amené le prince à regarder les Nedjéens
comme les premiers soldats, et lui-même comme le premier
général du monde. Cependant ce n’était pas là une pure fanfaronnade,
car, dans les limites de la Péninsule, Abdallah doit
vraisemblablement l’emporter sur n’importe quel ennemi; et
l’Égypte n’a pas toujours un Ibrahim-Pacha pour commander
ses armées.
J’eus, à cette époque, l’occasion de visiter les écuries royales,
occasion que je souhaitais depuis si longtemps. Le cheval du
Nedjed, en effet, l’emporte non-seulement sur les races persanes
ou indiennes, mais sur toutes celles de la Péninsule ; c est le
vrai cheval arabe, le type pur et sans mélange. J ai entendu
bien des fois des connaisseurs exprimer cette opinion, que je
partage complètement, quoique des autorités importantes aient
émis, je le sais, un avis contraire. Dans tous les cas, les haras de
Feysul sont incontestablement les premiers du Nedjed, et celui
qui les a visités a vu les chevaux les plus parfaits de 1 Arabie,
peut-être du monde.
Une jument ayant été mordue près de l’épaule par un camarade
trop impétueux, la blessure, mal pansée, avait fini par
produire un ulcère qui déroutait la science des plus habiles
vétérinaires nedjéens. Un matin que nous étions, Barakat et
moi, assis dans le khawah d’Abdallah, un palefrenier entra pour
donner au prince le bulletin journalier de ses écuries. Abdallah
me demanda si je voulais entreprendre la cure. Je consentis
avec joie à visiter la bête malade, tout en déclarant que je me
contenterais d’examiner son mal, et que je ne me chargeais
nullement de la guérir. Le prince donna des ordres en conséquence;
le jour même, un valet d’écurie nous conduisit au
haras royal.
Il est situé vers le nord-est de la ville, à gauche de la route
que nous avions suivie pour venir du Djebel-Shomer, et très-
près des jardins d’Abder-Rahman-le-Wahabite. Les bâtiments,
qui occupent une superficie de 150 yards carrés, renferment une
vaste cour intérieure dans laquelle les chevaux sont libres de
prendre leurs ébats pendant le jour. On les attache le soir dans
leurs stalles, les brouillards de lâ Wadi Hanifah ne permettant
pas de les laisser la nuit en plein air; le vent du noçd, parail-
il, leur est aussi très-défavorable. Les écuries renfermaient en