
teaux du Toweyk, au-dessus d’Horeymelah, juste derrière le
Djebel Atalah.
Après avoir suivi divers détours, nous atteignîmes la retraite
qu’Abou-Eysa nous avait désignée. C’était une sorte d’excavation
sablonneuse, enfouie au milieu des collines et des broussailles ;
elle ne renfermait pas d’eau ; mais nous avions dans nos outres
une provision qui pouvait durer trois jours. Nous mîmes pied à
terre pour attendre, dans la solitude et l’anxiété, l’arrivée de
nos compagnons. Deux jours se passèrent fort tristement. Un
paysan égaré s’approcha de nous, et parut fort surpris de trouver
un campement dans un endroit aussi singulier. Quelquefois,
pendant que nos dromadaires restaient accroupis au milieu des
arbrisseaux, nous gravissions les hauts rochers calcaires du
Toweyk afin de jeter un regard rapide sur le pays environnant
et de voir les montagnes d’flarik, dont la chaîne vaporeuse se
dessinait vaguement au sud ; quelquefois encore nous poursuivions
les nombreuses troupes de gazelles, sans désir d’en
prendre aucune, mais simplement afin de nous distraire de nos
inquiétudes. Les heures cependant nous semblaient interminables.
Le troisième jour, notre impatience et notre angoisse
furent au comble quand le soleil, atteignant la fin de sa course,
s’abaissa sous l’horizon sans que nous eussions vu paraître
personne. La nuit devenait noire, nous nous assîmes découragés
auprès d’un petit feu, qu’attisait l’air vif de la nuit.
Tout à coup nous aperçûmes notre ami ; les questions et les réponses
se croisèrent, la tristesse fit place au rire et à la joie.
Abou-Eysa nous apprit comment le jour même où nous l’avions
quitté, il s’était rendu auprès d’Abdallah, dont les premières
paroles avaient été : « que sont devenus ces deux
chrétiens? * A quoi le guide avait répondu qu’il nous croyait
sur la route de Zobeyr. 11 avait donné le même renseignement
à Mahboub qui s’était aussi informé de nous. Chacun se livrait
sur notre compte à une foule de commentaires ; les uns disaient
que nous étions envoyés par le gouvernement de Constantinople,
les autres par le pacha d’Égypte, personne heureusement n’avait
deviné en nous des Européens. La caravane campait à une distance
d’un ou deux milles, nous devions la rejoindre le matin
suivant.
Le 28 novembre, dès que les premiers rayons du soleil, voilés
par un léger brouillard, parurent à l’horizon, nous partîmes
pour aller trouver nos compagnons de route. Ils étaient nombreux,
mais j’épargnerai au lecteur l’ennui d’une description
minutieuse, car ils différaient peu des Arabes que nous avions
déjà rencontrés; je ne saurais pourtant passer sous silence
trois Nedjéens, natifs de la wadi Dowasir, qui nous fournirent,
à Barakat et à moi, un curieux sujet d’études. L’un était un me-
towa aveugle, ignorant, fanatique et avare au delà de tout ce
qu’on peut imaginer ; le second, qui appartenait au même district,
reflétait fidèlement [les vices orthodoxes de son pasteur ;
enfin le troisième était, je n’en doute pas, protégé par un bon
ange, comme le page de Falstaff, mais le diable lui tenait
encore plus fidèle compagnie. Le reste de la caravane se composait
de marchands qui parlaient uniquement de leurs affaires ;
aucun Bédouin ne voyageait avec nous, et nous ne le regrettions
nullement.
Nous traversâmes ce jour-là les plantations voisines de Sa-
lemyah, gros village qui fut autrefois la capitale de l’Yémamah
et laYésidence du chef Daas, Cette ancienne bourgade est aussi
appelée Khordj, nom que les Arabes étendent au district entier.
L’habitude d’employer la même dénomination pour désigner la
capitale d’une province et la province elle-même, produit souvent
beaucoup de confusion dans la géographie arabe. Ainsi
Sham s’applique tantôt à Damas, tantôt à la Syrie. Teyma,
Nedjran, Djowf, Hasasont des expressions tout aussi équivoques.
Enfin, le retour fréquent des appellations descriptives, comme
Rowdah (jardin), Kelat (château), Thenyat (défilé), Akhaf (colline
de sables),achève de rendre la nomenclature arabe une des plus
pauvres et des plus obscures qui existent.
Saoud, le second fils de Feysul, habite ordinairement Sale-
mvah, quand toutefois il n’est pas à Houtah dans l’Harik,
ce qui lui arrive souvent. Le district de Khordj est le plus
fertile de l’Yémamah, on l’appelle le paradis du Nedjed; la
végétation cependant diffère peu de celle de la wadi Hânifah,
si ce n’est par son abondance. Le cotonnier seul vient y rompre
l’uniformité des bois de dattiers, des champs de maïs ou de
millet. J’ai déjà parlé des tendances politiques et religieuses de
la population, j ’ajouterai qu’on rencontre dans l’Yémamah plus
de douceur et de sociabilité qu’à Dereyah et à Riad. Les habi